Surentraînement, burn-out : Quand le traileur perd le sens

 

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    Toujours plus. « No pain no gain ». « Train Hard – Win Easy ». Et puis un soupçon d’addiction. La croyance que « ça n’arrive qu’aux autres ». Mais le corps, il nous le rappelle, a ses limites. Il n’y a qu’un pas vers le surentraînement, vers l’épuisement, le burn-out. C’est un piège dans lequel beaucoup tombent, plus que jamais à l’heure où la comparaison est partout, de Strava à Instagram.

    Alors ça y est, la fatigue s’est installée, la motivation se dégrade au même titre que les performances, les blessures s’enchaînent… Autant de signes qui envoient l’alerte d’un état de surentraînement. De ce cercle vicieux il est difficile de sortir, si le coureur ne le prend pas en charge très tôt. Quelles sont les causes ? Et pourquoi tombe-t-on si facilement dans le piège d’une pratique addictive ? M’inspirant de ma propre pratique à mes débuts et me penchant sur les recherches scientifiques, j’ai décortiqué ce sujet qui s’inscrit aussi dans le contexte sportif d’une époque où l’on s’expose constamment aux performances de l’autre.


Introduction au surentraînement

    Pour entrer dans le sujet, je vous sers d’emblée une définition bien pertinente de la notion de surentraînement, soigneusement extraite du livre Running, trail : Objectif zéro blessure, du Dr. Jacques Pruvost : « Il s’accompagne d’une baisse importante et prolongée des performances en course à pied alors que le niveau d’entraînement est le plus souvent maintenu. Cette altération des performances va perdurer même après un allègement du programme d’entraînement. » Mais il s’avère difficile de diagnostiquer soi-même un état de surentraînement, surtout quand on essaie de se convaincre que cette fatigue n’est que passagère… On n’envisage pas de se reposer, de couper pour un moment, de laisser le corps récupérer, tant qu’il peut encore avancer.

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    L’entraînement en course à pied adopte une structure en trois branches. On parle de fréquence d’entraînement pour qualifier le nombre de séances réalisées par semaine, puis de durée et enfin d’intensité, de modérée à très élevée. Lorsque cette structure est mal équilibrée, le risque de tomber en surentraînement est démultiplié. Le problème n’est pas tant de « trop » courir, mais d’enchaîner des entraînements de trop haute intensité et trop longs. Bref, quand c’est trop… c’est juste trop.

    En débutant moi-même, je n’avais aucune idée de ce à quoi devait ressembler une bonne structure d’entraînement. Par-là, j’entends une pratique saine cohérente avec mon niveau, ma situation de vie et mon état de fatigue. C’est souvent la conséquence d’un simple manque de connaissances. Or s’entraîner si intensément et griller les étapes de progression ne tient jamais dans la durée.


La fatigue sous toutes ses facettes

    En premier symptôme vient donc la fatigue, jusqu’à ce qu’elle vire à l’épuisement. La fatigue en elle-même est normale, en tant que résultat d’un stress subi par le corps dans les phases d’entraînements. Mais dans le cas où elle s’accumule en raison d’une mauvaise récupération, cette fatigue devient chronique et dégrade peu à peu la qualité des séances. Finalement, c’est à l’image d’un appareil jamais rechargé à bloc : il enclenche le mode économie d’énergie pour résister à l’extinction totale.


  • Lorsqu’on parle de fatigue, on pense d’abord le plus souvent à la fatigue physique. Les muscles comme les tendons, articulations, os et autres fibres musculaires subissent un certain nombre de micro-déchirures, qu’il est nécessaire de laisser cicatriser au moment des phases de récupération.


  • Il y a ensuite la fatigue nerveuse, au niveau du cerveau, donc. Les motoneurones situés dans le cerveau se chargent de contrôler les mouvements du corps en envoyant des signaux électriques aux muscles. Mais en cas de surentraînement, il arrive que l’on perde en efficacité de coordination et en exécution de mouvements.


  • On parle aussi de fatigue métabolique. Ici, c’est l’alimentation via les calories, graisses et glucides qui entre en jeu, puisque ces éléments fournissent l’énergie nécessaire aux muscles pour se contracter et produire des réactions chimiques complexes.

  • Enfin, la somme de toutes les fatigues citées plus haut : une fatigue générale. Au-delà de l’entraînement sportif, elle comprend la vie quotidienne dans sa globalité, de la sphère professionnelle à familiale. 
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    Ajoutez à un épuisement physique dû à un entraînement mal adapté une charge mentale professionnelle et personnelle, c’est un gros craquage qui menace.


Fatigue physique : comment la vit-on vraiment ?

    Au fil de mes recherches, je me suis particulièrement intéressée à la fatigue physique, la plus évidente. Comment la vit-on vraiment ? Scientifiquement, on l’explique de la manière suivante : « Le métabolisme s’adapte à chaque type d’effort en approvisionnant les muscles. Les réserves énergétiques sont susceptibles d’être épuisée. La déplétion des réserves provoque l’atténuation de l’activité musculaire. » (CHOUKOU, 2009) La fatigue physique liée au sport trouve donc son origine dans un mauvais approvisionnement des muscles et dans la déplétion des substrats énergétiques (glucides, lipides, etc.) qui permettent eux-mêmes de produire de l’ATP (molécule d’énergie destinée aux muscles).

    Les conséquences de la fatigue physique s’observent selon trois modèles :


  • Le modèle neuromusculaire relie le système nerveux central aux muscles, permettant le bon recrutement des unités motrices. Mais en cas de fatigue chronique, cette commande nerveuse subit des perturbations qui modifient le fonctionnement des muscles, soit la réponse musculaire.


  • Le modèle biomécanique comprend, en particulier, l’efficacité technique. L’état de fatigue a une conséquence directe sur cette composante. Pour information, « Seulement 25 % de l’énergie produite par l’organisme est utilisé pour la contraction musculaire et le reste assure la régulation des échanges thermiques » (CHOUKOU, 2009)


  • Le modèle complexe semble plus subtil, axé sur la sensation en elle-même. Le corps cherche à s’adapter et ainsi modifier inconsciemment ses mouvements, sa foulée dans le cas de la course à pied par exemple. C’est là encore un état de perturbation qui passe par le système nerveux central.

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    Dans tous les cas, la fatigue physique parait assez propre à chacun et se manifeste à différents niveaux. Certains coureurs la vivent avec plus d’émotions que d’autres, ou davantage de signes physiques.

    Dans mon cas, je me souviens avoir eu la sensation permanente de traîner un corps lourd. Comme si tout me demandait un gros effort. La tête qui tournait en me levant et la difficulté à rester concentrée, une humeur assez variable… Sur le moment, je n’en avais absolument pas conscience. L’après-coup s’avère pourtant violent.





Premiers symptômes

    Si le surentraînement est difficile à diagnostiquer par soi-même, deux éléments doivent néanmoins alarmer : diminution des performances et sensation de fatigue permanente.

    Les signes musculaires, tendineux ou encore articulaires conduisent souvent à la blessure. Dans certains cas, un état inflammatoire s’installe ainsi qu’une production anormale de « cytokines pro-inflammatoires ». Pour faire simple, il s’agit d’une souffrance musculaire dite générale. Mais au plan psychologique, les conséquences sont là aussi inquiétantes. On peut constater une anxiété particulièrement inhabituelle, des changements d’humeur, parfois un manque de réactivité ou un état d’irritabilité. Le sommeil étant de mauvaise qualité, il renforce la sensation de fatigue, et ce dès le réveil. Le surentraînement, c’est bien connu, impacte tout autant les hormones. Chez l’homme s’observe une baisse de la sécrétion de testostérone et chez la femme, une baisse de l’œstradiol, qui complexifie ici la régularité des règles.

    Alors pour sortir de cet état de surentraînement, par où commencer ? Tout d’abord, et cela paraît évident, le prendre en charge le plus tôt possible. C’est là que les professionnels interviennent. En règle générale, on dégage trois approches de prise en charge, puisque le surentraînement impacte le corps et l’état psychologique dans leur globalité : approche technique, approche psycho-sociale, approche médicale. Les soins passent par un rééquilibrage global. 


Le burn-out du sportif

    Même si un surentraînement ne débouche pas toujours sur un burn-out sportif, il me paraît important d’en présenter les caractéristiques. Le burn-out, terme inclus dans le lexique médical dès les années 1970, a intéressé Ronald E. Smith, psychologue du sport américain. En étudiant les comportements des athlètes face à la pression dans les compétitions, il fait naître le concept d’« athletic burnout » en 1986. Le burn-out sportif serait d’après lui un syndrome de réponse au stress chronique, l’expression d’une dépression sévère et d’un sérieux rejet pour la pratique. Contrairement au surentraînement, la pause et la décharge d’entraînement ne sont pas suffisants pour espérer en sortir. Certains coureurs ne reprennent d’ailleurs jamais la course, tant l’épuisement mental est fort. Ce burn-out fait aussi naître chez l’athlète un sentiment d’inefficacité et une baisse importante de son sentiment d’accomplissement. Dans le contexte du haut niveau par exemple, le burn-out est souvent la résultante d’exigences trop sévères et d’une pression de performance.

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    Mais à l’ère d’internet et des réseaux sociaux, dont Strava, la pression de performance touche même les amateurs. Ce ne sont plus les coachs qui font pression, mais bien les sportifs eux-mêmes face aux performances des autres. C’est une compétition virtuelle d’amateurs. Ce n’est plus l’amour du sport partagé, c’est la soif de récompense et de résultats. C’est la quête d’un like, d’un commentaire glorifiant, la recherche permanente de reconnaissance au sein d’une « communauté » de sportifs. Nous devenons accros sans nous en rendre compte. Nous en devenons obsédés, au point d’en oublier l’essentiel : notre propre plaisir. Sur Strava, c’est très clair, les datas sont partout. On a connaissance de la moindre donnée sur l’autre. Sur Instagram, les images et les vidéos parlent d’elles-mêmes. On glorifie les visages de souffrance, comme s’il fallait toujours que le plaisir passe par la souffrance. C’est là qu’on se perd souvent et que l’on remet en question ses propres entraînements, ses performances et ses objectifs. S’obséder au point de s’en dégoûter, pour peut-être ne jamais revenir. Voilà le danger de la comparaison.


La fatigue : outil de progression ou véritable faiblesse ?

    Ces prochaines lignes tendent à faire contraste avec les explications précédentes. Parce que l’inconfort, parfois, est une marche utile à toute progression.

    En-dehors du surentraînement, faire l’expérience de la fatigue n’aide-t-il pas à déployer sa force ? La fatigue fait partie de l’entraînement et le corps parvient au fil du temps à s’y adapter, lorsqu’elle est gérée de manière correcte et efficace. Le problème se situe là : il est difficile de porter un regard lucide sur sa propre pratique et sur sa sensation de fatigue. La fatigue peut aider à surpasser ses limites, elle devient parfois un outil et s’apparente à une rage qui nous permet d’avancer encore plus.

    Mais comment savoir lorsque l’on va trop loin ?


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    Je crois que le mental a un rôle très important sur la sensation de fatigue. C’est lui, souvent, médiateur, qui tranche ce qui est raisonnable ou non. Continuer ou s’arrêter. Ecouter un peu plus ses sensations. On sait qu’on est allé trop loin au moment où l’après-coup survient. Repousser les limites de sa fatigue, oui, mais à un certain point. J’imagine que seule l’expérience des réactions de son propre corps saurait apporter une réponse claire.


    La fatigue dans l’entraînement en trail et course à pied est un phénomène normal allant de pair avec la progression. Mais une fatigue extrême qui dure dans le temps, tout en impactant les performances et l’état psychologique est le signe que le corps ne suit pas le rythme qui lui est imposé. Si soi-même il est difficile de porter un regard juste sur sa pratique, il est essentiel de connaître les symptômes et les risques d’un état de surentraînement, dont il est difficile de sortir sans des changements profonds et adaptés.


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Lola Piffero


Bibliographie

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