Paul Boulet : "Un pas de plus dans le monde des grands"

 


    Paul est celui qui a tenu le plus longtemps au test VMA dans notre groupe d’athlétisme à l’Université. Dans le soir qui tombait sur la piste, ses grandes enjambées donnaient l’impression qu’il volait. J’avais envie d’en savoir plus sur ce jeune talent de demain, l’un de ceux qui soufflent un vent de jeunesse sur une pratique auparavant destinée aux vieux hommes des montagnes solitaires. Alors voici l’histoire d’un jeune homme de dix-neuf ans qui foule ses montagnes jurassiennes, qui parle de trail avec dans ses yeux, un pétillement de passion. 


Les premières marches d’une carrière prometteuse

    Ce qui suscitait d’abord ma curiosité, c’était l’enfance de Paul. Quand je lui demande de me décrire le petit garçon qu’il était, il répond : « Un petit garçon qui allait beaucoup dehors. J’ai passé vraiment beaucoup, beaucoup de temps dans mon enfance dehors avec mon meilleur pote. » Eduqué loin des jeux vidéo, Paul trouve très tôt son terrain de jeu préféré : la nature. Il se souvient de longues balades à vélo avec ses parents ou encore les parties d’amusement dans les bois avec son meilleur ami.

    Au collège, Paul participe à son premier cross. « Le cross en sixième, j’ai fini troisième. Je me suis dit : bon ben, il y a peut-être un truc à chercher là-dedans. Et puis du coup les années d’après j’ai enchaîné, et pis j’ai toujours fait deuxième à chaque fois. » Le format court lui permet à cette époque de performer remarquablement bien. Ne pas courir trop longtemps, mais courir vite. « C’est là que tu t’amuses le plus en fait. » Monter sur les marches d’un podium lors de sa première course, comme l’aube d’une belle carrière sportive…



S’entraîner comme un grand

   Mais après le cross vient le trail. Paul commence vers l’âge de dix-sept ans, à la fin du lycée. « Avec le lycée je faisais beaucoup d’AS. Donc on a fait des compétitions, on a fait du bike & run, on a fait de la course d’orientation, du raid... » Ses entraînements avec l’AS l’amènent à pratiquer une variété de sport et ainsi, progresser. « Après p’tit à p’tit sur la fin du lycée, je commençais à courir tout seul dans mon coin. » Paul n’a pas d’entraîneur actuellement. C’est en commençant le trail qu’il s’impose un cadre avec des séances spécifiques, dans une optique plus mature de performance. Son envie de liberté et son plaisir avant tout, il ne désire pas répondre à un plan d’entraînement imposé. Le plus important pour lui reste de conserver son équilibre. Il constitue généralement sa semaine de deux séances spécifiques, puis profite librement d’une sortie longue et de footings lents, notamment le week-end lorsqu’il revient sur ses terres natales. 

    Originaire de Crotenay, petit village situé à côté de Champagnole dans le Jura, Paul s’est retrouvé quelque peu dépaysé en atterrissant sur le bitume dijonnais. « C’est vrai que quand je suis arrivé à Dijon l’année dernière, ça a été un peu un choc hein, parce que... c’est plat déjà, y’a pas trop de forêt. »


La blessure : frein abrupt en pleine ascension

    « Tomber bas pour remonter plus haut, avancer dans l’ombre et la douleur pour retrouver la satisfaction d’une course réussie, depuis plusieurs mois que je rêvais de reporter un dossard », légende le jeune traileur sous un post Instagram. Ce dossard est celui de la course du Creux de l’Enfer en août 2023, à laquelle Paul termine deuxième Junior. Quelques mois plus tôt, en avril, le jeune homme se fracture la rotule gauche. Une saison qui s’annonçait pourtant prometteuse : une première place sur le podium d’un trail, une deuxième sur le podium d’un duathlon. Et le frein tant redouté, une ascension stoppée net. « Là ça m’a bien plombé le moral. J'avais vraiment espoir… » Mais pas si défaitiste, Paul envisage de recourir d’ici un mois. Ses objectifs de course déjà fixés, un mental qui en veut, mais un corps qui souffre. Fort d’une résilience implacable, le jeune traileur se remet en jambes début juillet pour préparer sa course en août. Musculairement, rien n’est plus pareil. « J’avais la cuisse gauche qui était… mais minuscule par rapport à la droite ! » Un an plus tard, cette blessure marque encore la mémoire de Paul et le titille parfois : « je sais que quand je me mets à genoux par terre, donc sur un sol dur, j’ai peur de m’appuyer, peur d’avoir mal. »


L’entraînement croisé pour durer

    Les routes montagneuses qu’il connaît chez lui dans le Jura sont aussi le terrain propice au vélo. Paul me parle du triathlon de Chalain lorsqu’il était encore au lycée. « Je me suis acheté un vélo route à ce moment-là. Avant je faisais un peu de VTT et j’ai complètement lâché le VTT parce que le vélo route c’est… c’est incroyable quoi (sourire). Vraiment c’est… (rires) par rapport au VTT rien à voir, et je suis tombé amoureux de ça. » Certains grands traileurs comme Kilian Jornet ou Xavier Thevenard assurent que l’entraînement croisé permet de durer plus longtemps dans sa pratique. Paul est d’accord avec cette idée. En effet, le vélo permet de solliciter d’autres muscles tout en accumulant beaucoup de volume. Un sport sans impacts pour prévenir certaines blessures et se faire plaisir sur un autre type de terrain qui contraint lui aussi au dénivelé.


Le maillot de la team Procompta

    Sur les courses, Paul porte le tee-shirt de la team Procompta. Il m’explique qu’il s’agit d’une entreprise de comptabilité proche de son village. Avant elle, et avant sa fracture, le jeune talent était sponsorisé par le magasin CAP Jura, jusqu’à ce qu’il ferme. Grâce à une connaissance en commun, Procompta le sponsorise alors. « Je cours pour l’entreprise, j’ai le maillot pour faire de la pub à l’entreprise, et de leur côté, eux, ils m’offrent des dossards sur certaines courses. » A la différence des grandes teams comme Asics ou Nike, entre autres, Procompta ne fournit ni matériel ni compensation financière. « Y’a pas de ça, c’est : je cours avec leur maillot et moi ça me suffit, j’ai pas besoin de plus. » Presque étonnée, j’ose demander si faire partie d’une plus grosse team ferait partie de ses projets, à l’avenir. Le jeune traileur, dont la volonté est toujours de conserver son équilibre, hausse les épaules. « Pour le moment j’suis pas là-dedans. »



Derrière la performance, un soupçon de pression

    Tandis qu’il multiplie les podiums depuis ses premiers pas en course à pied, on peut dire que Paul a mis la barre très haut dès le départ. Toujours en quête d’amélioration, digne d’un vrai sportif perfectionniste me direz-vous, le jeune talent se met en tête l’objectif de défendre sa place sur le podium à chaque nouvelle course. Et il s’en donne très sérieusement les moyens. « Ça fait plaisir de voir que ça marche bien, je fournis le travail nécessaire et je vois que derrière, les résultats suivent… ». A l’entendre, je comprends que Paul est un compétiteur né. Pourtant je le trouve humble. On ne peut qu’admirer sa détermination, le sérieux avec lequel il aborde chaque course, l’envie de s’améliorer, de se dépasser. « Je me mets vachement la pression avant et… rien que des fois j’ai mal au ventre avant la course. » Mais on ne peut pas toujours prévoir sa forme le jour-J : « Je sais qu’en début d’année j’ai fait une course où j’étais moins en forme que les autres et… de se dire « mais pourquoi mon corps ne veut pas, pourquoi ça marche pas aujourd’hui ? », ça c’est le plus dur… ». Sa plus grande peur ? « Me fixer un objectif et ne pas réussir à l’atteindre. »


A la frontale

    En 2023, le traileur prend le départ du Noct’Urbain à Arbois, une course de 10 km pour 260 m de dénivelé positif proposée par le Trail du Cirque du fer à cheval. A nouveau, Paul termine premier de sa catégorie, cinquième au classement général. Courir de nuit demande une tout autre concentration, mais aussi une préparation rapprochée des mêmes conditions, « parce que t’as moins d’informations sur ce qu’il se passe autour de toi. Et du coup rien que dans les descentes tu fais un peu plus gaffe, parce que tu vois pas devant toi donc tu ralentis un peu. »


Force mentale et discipline

    Etudiant de deuxième année en BUT génie biologique, Paul entretient la même discipline de fer que celle recrutée dans la course à pied. Il vise les concours pour intégrer une école vétérinaire l’année prochaine. « Les entraînements, ça m’a permis d’être assez discipliné. Et du coup dans la vie de tous les jours, ça sert un peu partout. Que ce soit pour que je révise, et bah tiens je me pose, je pose le téléphone là-bas, je me mets au travail une heure, et c’est… être assez discipliné, ouais. »


Un coureur qui démarre fort

    Autant dire que Paul n’est pas un moteur Diesel. Il fait partie de ceux qui se placent au-devant du peloton. « Je suis vraiment du type à partir très vite. Non franchement, je pars assez vite parce que j’ai plutôt l’avantage sur les parties plates ou un p’tit peu vallonnées, mais pas trop trop la montée direct. » Si les montées ne sont pas son point fort, il bombarde dans les descentes comme un lièvre. Doué d’une technique efficace, il parvient à gagner beaucoup de places quand il avale du dénivelé négatif. Il sait s’économiser durant les montées et relance facilement lorsque le terrain devient à nouveau plat.



Un podium particulier

    Sur les courses, le traileur impressionne même les plus aguerris, notamment ceux qui pratiquent la longue distance. Dimanche 13 octobre dernier, Paul s’élance sur le Trail des Cairns, course de 26 km, qui atteint finalement les 28 km en raison d’une erreur de parcours. La plus longue distance de Paul jusqu’alors, avec un dénivelé positif de 1 000 m. En se basant sur les chronos du gagnant de l’année dernière, qu’il connait, le jeune homme s’est fixé une allure à tenir. Et à sa grande surprise : « J’étais encore plus rapide que ce que j’avais prévu ». Paul, du haut de ses frais dix-neuf ans, casse les codes. Normalement non autorisé à s’inscrire à cause de son âge, à une année près, il remporte la course et impressionne ses concurrents. Paul ne fait que progresser : « depuis que je me suis mis au trail, petit à petit je fais à chaque fois mieux, à chaque fois plus grand ».

    Finir premier pour sa plus longue distance, Paul ne l’envisageait pas vraiment. D'autant plus que sa décision s’est arrêtée deux semaines avant le départ. C’est en quelque sorte une revanche sur sa blessure, alors qu’il souhaitait s’élancer sur les 13 km de cette même course prévue en mai 2023. Cette année, Paul a vu plus grand, parce qu’il est revenu plus fort, malgré quelques doutes pourtant. « Je ne savais pas comment j’allais réagir, je savais pas si j’allais craquer ». En tant que coureur assez cérébral, le jeune homme semblait se poser tout un tas de questions. Lorsqu’il fait le récit de sa course, j’en visualise chaque étape, chaque détail. J’entendrais presque les battements sourds du cœur des coureurs alignés sur la ligne de départ. Paul est là. Devant lui, champ libre, il est au-devant du peloton.

   « Je… j’avais beaucoup de doutes au début et du coup je m’étais dit « voilà, faut que je m’économise un max, faut pas que je force trop, ça sert à rien », euh… chose que je n’ai absolument pas faite (rires), parce que dès le début y’a un gars qui est parti à fond devant. Je me suis dit que ce serait bête de le lâcher dès maintenant et de plus le voir de toute la course. Je l’ai suivi un peu comme un abruti (sourire), à fond, j’ai pas trop réfléchi. Et finalement arrivé en bas… on a fait trois-quatre kilomètres assez rapides, on voyait plus personne derrière, on était vraiment les deux devant. Et au bout de trois-quatre kilomètres la première montée attaquait et là il a coupé complet. C’est là que je me suis envolé dans la montée, alors que d’habitude moi dans la montée je souffre un peu, mais là je me suis vraiment envolé. Et… je l’ai plus vu. J’ai fait, ouais, 15 km, tout seul. Et euh… p’tite erreur de parcours, c’était mal indiqué, je suis remonté, redescendu, remonté et là je l’ai revu arriver derrière. Je suis reparti avec lui. Sur toute la course je me suis assez économisé quand j’étais tout seul. Et le fait de le revoir, d’un coup je me suis relancé, je me suis dit « non bah là il reste plus grand-chose avant la fin, il reste 7 ou 6 km, j’peux pas… j’peux pas me laisser faire comme ça ». Donc direct ça renchaînait sur une descente, donc, dans la descente j’ai bombardé. Montée, pareil. Dans cette montée il a craqué à nouveau.  Alors j’ai pu garder la première place (sourire), c’était cool. »

    Paul a parlé de sa maman. Moi, ça m’a touchée. « Ma maman me suit beaucoup sur mes trails, enfin mon papa pas trop, mais ma maman à chaque course elle est là. C’est la première fois qu’elle devait me faire un ravitaillement sur la course du coup pour me refiler une flasque. Et rien que de la voir fière comme ça, au milieu du ravitaillement, ça fait plaisir, c’est sûr ».

    Et alors Paul, premier des vingt premiers, traverse la ligne d’arrivée. « C’est pas la même sensation… et avec le public qui te pousse derrière, ça change tout ».


Clap de fin de saison

    Pour clôturer en beauté sa saison trail 2024, Paul s’élancera le week-end prochain sur une toute dernière course, aux côtés d’un ami traileur. Cet hiver, il envisage se consacrer davantage au renforcement musculaire, tout en gardant un faible volume de course à pied avec les entraînements du Suaps chaque mercredi soir. Reprise prévue fin janvier 2025, qui laisse envisager les premières courses en mars. Je demande à Paul l’importance de la coupure selon lui. « Mon ostéopathe m’a dit quelque chose qui m’a pas trop plu (sourire), il m’a dit « cours un peu moins, fais plus de renfo ! » (rire). Donc ouais, je vais ralentir un peu, je vais bien consolider le corps pour rattaquer encore plus fort l’année prochaine. » Rattaquer plus fort avec des articulations, des muscles et des tendons tout neufs, l’essentiel pour durer.



Vers une saison 2025 encore plus intense ?

    Concentré sur ses futurs concours pour entrer à l’école vétérinaire, Paul n’a pas encore fixé précisément ses objectifs de trail 2025. Même si l’idée de participer aux championnats de France de trail universitaire avec le Suaps, prévus en juin, germe dans sa tête. La Young Race du Marathon du Mont Blanc, course réservée aux jeunes talents, semble aussi lui faire de l’œil. L’été prochain, il envisage très certainement de prendre le départ d’une des courses de l’UTMB. Il compte enfin prendre du plaisir sur les courses qui lui sont déjà familières, mais surtout : « J’irai défendre mon titre pour le trail du Morbier que j’ai gagné il y a deux semaines. Et peut-être allonger les distances, ouais. Passer un peu plus de temps sur des 20 km, des formats un peu plus longs. Sur certaines courses que j’ai faites l’année dernière, en général je faisais les petits formats. Par exemple en début d’année j’ai fait le Trail du Pénitents. Donc ça c’était le format 11 km mais il y a aussi un format 22 km. »


    L’ascension, selon Paul, relève d’un objectif à atteindre. Petit pas par petit pas, prendre le temps de franchir chaque étape. Aussi circassien, le jeune traileur accorde une place particulière à l’amusement. Car le plaisir est avant tout la clé d’un équilibre sain. Une chose est sûre : son ascension lui promet encore bien des records.



Lola Piffero


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