Ma prépa marathon : à cœur ouvert

 



    Courir un marathon, à chacun sa vision. Moi, c’est mon rêve. Je me suis donc lancée il y a quelques mois, peut-être un peu trop tôt, un peu trop fort. La tête était prête, le corps, lui, m’a contrainte de renoncer…

    Tout juste revenue de blessure en juin, je reprends l’entraînement, où plutôt je me fixe un objectif totalement inédit pour moi : débuter une prépa marathon. Maman me propose qu’on le coure ensemble, le jour de ses 50 ans. Dans ma tête je nous vois déjà, l’une et l’autre, passer la ligne d’arrivée du Marathon de Chablis le 26 octobre. Pourtant, aucune de nous deux ne la franchira. 


La reprise post-blessure

    En juin, je rechausse enfin les running. Après quatre mois de tendinite, ma hanche finit presque par me laisser tranquille. Elle revient par moment, selon le type de séance, jusqu’à disparaître totalement fin juillet. Pourtant même quand elle n’est plus là, ma peur de rechute persiste. C’est officiel, j’ai développé une peur bleue de la blessure. Pour éviter de commettre les mêmes erreurs qu’à mes débuts, je m’abonne à la plateforme Campus Coach pour me fier à un entraînement personnalisé.

    Je commence ma préparation avec trois semaines de « reprise ». J’apprends déjà à courir, vraiment, en endurance fondamentale. Un type de sortie très difficile pour moi qui avais tendance à courir mes footings bien trop vite. En reprise, j’ai beaucoup de douleurs articulaires, notamment au genou droit. A ce moment, le moral est assez bas car j’ai l’impression de repartir de zéro. En fin de séance sont prévues quelques lignes droites, l’occasion pour moi de tester à nouveau la vitesse pour voir comment mon tendon réagit. Ça passe. Lors de la troisième semaine de reprise, j’achève ma première sortie longue post-blessure. Une sortie trail de 9 km durant laquelle je retrouve une grande forme et plutôt de bonnes sensations. 


Le passage au cycle côtes

    Lors des premières séances de côtes, j’ai le souffle court. Je me fixe plusieurs séances de renforcement chaque semaine, qui m’aident grandement tout au long de la prépa. J’accroche pour cette quatrième semaine mon premier dossard post-blessure. J’angoisse beaucoup. Je n’ai pas que de bonnes sensations lors de ce Trail des Cadoles - 11 km pour 300 mD+. Pourtant je termine 1ère Junior féminine et 7ème femme au scratch. Mon tout premier podium. Cette fois je le sens, c’est le début d’un tout nouveau cycle. Me voilà motivée à bloc pour continuer la prépa. Je gagne en confiance. 

    Au fil des semaines, je ne peux que constater mes progrès, notamment sur les séances de côtes. Mon corps enregistre naturellement l’allure endurance fondamentale, qui me permet d’enchaîner les kilomètres sans me fatiguer.

    Lors de la sixième semaine arrive ma toute première séance VMA, où je redécouvre les sensations de vitesse sur le plat. Très fatiguée sur cette semaine, j’essaie de récupérer au mieux et de dormir suffisamment. L’atmosphère à l’extérieur est très lourde. Mais le moral est toujours haut. Au cours de cette période, je dois m’adapter aux horaires de mon job d’été, qui m’obligent à me lever très tôt les matins. J’effectue chaque trajet à vélo. Je me souviens d’une fatigue intense, donc j’apprends à écouter mon corps, pour une fois.

    Le cycle côtes fonctionne par blocs de trois semaines, suivies d’une semaine de récupération pour laisser au corps le temps d’assimiler les séances et la charge des semaines précédentes. L’objectif de ces semaines est de réduire à la fois le kilométrage et l’intensité. Je prends le temps de me reposer, de lâcher prise. C’est à ce moment-là que je comprends qu’il est essentiel de placer des semaines plus calmes, sans quoi le corps ne peut plus progresser ni encaisser la charge.

    Lors de la huitième semaine, je retrouve mon cycle menstruel, qui avait disparu depuis bien des mois. Depuis le surentrainement. Je sens dans mon corps un changement. Je mange plus, j’écoute ma faim, je m’entraîne tout simplement de manière plus intelligente. Semaine 10, je réalise ma plus longue sortie trail de 20 km pour 435 mD+. La douleur à la hanche est toujours présente, au bout de 10 km, mais elle ne devient pas handicapante. Je continue le protocole de renforcement spécifique. La semaine suivante j’accroche un nouveau dossard dans le Jura pour un trail de 17 km. Je constate une nette amélioration au niveau de ma douleur au tendon, mais une nouvelle gêne apparaît sur le dessus du pied droit. Elle me tiendra une dizaine de jours. 


Franchir la ligne d’arrivée pour nous deux

    Au cours de la semaine de récup, tout bascule. Maman se fait une entorse grave à la cheville. On ne pourra pas courir le marathon ensemble, je continue donc seule la prépa. Je vis la période qui suit d’une manière assez angoissée. La difficulté des séances augmente, mais je pense plutôt bien encaisser la charge. Néanmoins, j’ai du mal à me faire confiance. Sur les sorties longues, j’apprends à m’alimenter durant l’effort. Je souffre de troubles digestifs lors des premiers essais, jusqu’à ce que j’arrête de consommer les gels. Je finis par trouver ce qui me convient. Une douleur au tendon d’Achille commence à m’alarmer, je renforce chaque jour la zone. La douleur finit par passer. Ma douleur à la hanche a quant à elle totalement disparu. A partir de la semaine 14, je commence à ressentir une bonne dose de fatigue et une faim importante. J’essaie d'avoir un sommeil de qualité pour récupérer des séances.


Composer avec le rythme de la rentrée

    Fin de l’été, je reprends mon abonnement à la salle de sport pour me programmer des séances renforcement avec charge. Je sens la différence. A la rentrée, je reprends les entraînements d’athlétisme avec le Suaps. Mi-septembre, je me rends compte que la fatigue est beaucoup moins importante qu’en début d’année, malgré une charge d’entraînement plus conséquente. Les progrès me boostent. J’atteins pratiquement 60 km sur certaines semaines. Deux jours après une sortie longue de 23 km, le moral descend à nouveau bas. Je ressens une douleur au quadriceps lors d’une séance seuil. Je mets alors ça sur le compte de ma sortie longue, j’envisage un nerf coincé. Je me dis que ça passera dès le lendemain, mais je ne force pas lors de la séance vitesse. Le mercredi, au Suaps, une séance escaliers et sprints nous attend. La douleur se ravive. Le jeudi je m’élance sur la Color Run de rentrée universitaire, toujours avec la douleur. J’ai du mal à apprécier le moment. Ces sentiments de tristesse et de colère m’envahissent à nouveau. Je me résigne à prendre trois jours de repos. Je consulte une ostéopathe qui ne me signale rien de grave. La consultation me fait le plus grand bien, je sens mon corps si détendu… En fin de semaine, j’attrape un virus qui me met bien à plat. Je continue néanmoins les séances renforcement. Pourtant la douleur s’étend jusqu’à l’aine.


La phase d’affûtage

    La peur de la blessure me bouffe mentalement. Les doutes s’installent, j’envisage de ne pas participer au marathon. Pourtant je réalise la plus longue distance de ma prépa le week-end suivant. Je boucle 29,48 km en trois heures, malgré la douleur qui ne m’handicape pas plus que ça. Je passe par tous les états lors de cette sortie. J’ai réellement la sensation d’être en conditions marathon. Des moments de haut comme des moments de bas. La première moitié de la sortie passe très vite et mes sensations sont plutôt bonnes. Je m’arrête peu, j’arrive à boire et à manger comme prévu. Au 25ème km, mes pieds me font souffrir. La dernière heure est très difficile mentalement. Je m’accroche et recrute toute ma force intérieure pour tenir sur les derniers kilomètres, je parviens même à accélérer. Je suis fière de ma sortie en solitaire.

    L’erreur que je fais est de reprendre trop tôt la suite des séances. Je laisse passer trois jours de repos complets, mais je reprends avec une séance de côtes. Mes jambes sont lourdes comme des parpaings. La douleur sur cette séance devient insoutenable. Toute ma cuisse est douloureuse, jusqu’à presque me faire boîter. Naïvement, je reprends le protocole de renforcement spécifique, mais mes muscles sont encore broyés par la sortie longue. Sans surprise, je finis avec d’énormes courbatures. 


Semaine 22/26 : l’abandon

    Un objectif, ça ne peut pas s’abandonner. Dans ma tête ce n’est pas envisageable. Je ne me suis pas donnée à fond sur toutes ces semaines pour abandonner à quelques semaines du marathon.

    Pourtant, j’y songe pour la première fois de ma vie. Je n’ai jamais été aussi investie pour un projet. Je n’ai jamais autant mis de cœur, de motivation, de passion. Cette passion me nourrit depuis le début. Des mois que j’y crois et que le doute ne m’a pas freinée. Pour une fois dans ma vie, j’avais confiance. Un bon plan d’entraînement, une motivation inébranlable, une progression très nette. Et puis d’un jour à l’autre tout s’ébranle.

    Comme si je n’étais plus dedans.

    La confiance n’est plus là, le doute me prend tout entière et me ronge un peu, beaucoup. La peur bleue de la tendinite ne disparaît pas. Ce souvenir de mars m’est encore trop amer, j’ai peur de devoir ralentir voire m’arrêter, de voir ma progression chuter. La blessure, c’est un mot qui me noue l’estomac, même si je n’ai pas connu de « grosse » blessure. La dernière belle sortie paraît loin tandis que l’échéance approche. Et là je me réveille. Du jour au lendemain je me rends compte que le travail est déjà fait, qu’on ne peut plus grand-chose à cette période de la prépa. Plus assez de sorties longues pour se tester. Plus assez de temps pour régler les derniers détails.

    Je ne me sens pas prête. Comme si j’avais survolé la prépa à cause de ces petites douleurs. Comme si j’avais fait les choses à moitié. Certaines choses sont hors de notre contrôle, et personnellement, j'ai du mal à l'accepter.

    J'ai rarement pleuré comme ça, de doute et de sentiment d’échec.


Je déchausse les running et je réfléchis

    Je prends la décision que je redoutais. J’arrête de courir pendant un petit moment, à commencer par une semaine, et puis on verra. En attendant je réfléchis. Je fais la rétrospective de mon année. Et là, je comprends. Je me rends à l’évidence en acceptant que mon corps n’était pas prêt à encaisser l’exigence d’une prépa marathon, avec le volume et l’intensité qu’elle implique. Qu’il fallait peut-être que je sois dans un état d’esprit plus serein pour m’engager dans un tel défi. Cette pause est pour moi l’occasion d’adopter une nouvelle vision, plus saine, plus à l’écoute de mon corps. Car je paye actuellement mes erreurs de débutante, comme l’après-coup d’un surentraînement. J’ai aussi compris qu’en commençant le trail, je ne courais pas pour les bonnes raisons. Du moins quand je suis devenue étudiante et que je me suis retrouvée à vivre seule. A manger seule. Il fallait toujours que je cours pour mériter un repas, je me restreignais volontairement, de pain, de miel, de fruits, de sucreries, de quantités. Je mangeais beaucoup de légumes, pas de viande, peu de protéines et de produits laitiers. Au début je me sentais presque puissante. Plus je courais, moins je mangeais. Mais chaque vendredi soir dans le train, je croyais que mes jambes me lâcheraient tant j’étais épuisée de la semaine. Je pleurais souvent, j’étais malheureuse, angoissée en permanence. Alors je courais encore plus, et je jouais à me comparer. Je voulais aussi me prouver que j’étais capable d’enchaîner les kilomètres et d’en faire plus chaque semaine. Je me suis trompée sur toute la ligne.

    Ensuite, je me suis blessée. Je ne l’avais pas envisagé. Cette période était très difficile, à pleurer presque tous les jours et à me sentir comme un lion en cage. J’avais peur de manger si je ne me dépensais pas. Et puis l’été est arrivé, j’ai recommencé à courir et mon état d’esprit a changé. J’ai compris que pour continuer à courir autant, il fallait que je mange. C’est à partir de là que j’ai retrouvé un cycle hormonal plus régulier et que mon corps récupérait plus rapidement. 


    Samedi 26 octobre, j’aurais dû prendre le départ de ce marathon, mon défi de l’année auquel je pensais sans cesse. Faire passer la prépa avant d’autres choses, hors études, ne me posait pas de problème. J’ai aimé m’impliquer à 100% et pour la première fois, je croyais en moi. Pendant cette petite blessure, j’ai appris à me retrouver dans d’autres activités, à m’accorder juste une pause. Mon moyen à moi pour m’échapper ailleurs que dans la course à pied, c’est simplement d’écrire. Une pause dans cette rude ascension qui m’a donné du fil à retordre cette année, avec ces dossards que je n’ai pas pu accrocher. Beaucoup de larmes et de frustration, mais surtout une importante remise en question. La prochaine étape pour reprendre l’ascension, c’est de revenir plus forte mentalement comme physiquement.

    A celles et ceux qui se sont perdus en chemin ou qui ont dû quitter les sentiers pour un moment. Rien n’est permanent.



Lola Piffero

 

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