Pénélope Cornu : « J’essayais de me rappeler pourquoi je courais, quand je commençais à me perdre dans ma colère »

     



    J’ai rencontré Pénélope lors d’un cours d’athlétisme. Discrète jeune femme à la foulée aérienne, élancée sur la piste avec cette légèreté de danseuse. Pénélope monte sur les podiums, sourit humblement et ne demande rien de plus que de courir pour se sentir équilibrée. En parlant avec elle, je me suis rendu compte de sa personnalité « multifacette » : sportive, intellectuelle, artiste. Pénélope est une personnalité complète. Courir l’aide à relever chaque défi de sa vie et elle ne perd jamais son « pourquoi ». Même quand le corps dit stop.


    Etonnante est Pénélope, avec sa personnalité « multifacette » et « double aspect ». Plutôt calme et réservée, elle décrit pourtant une petite fille partisane de bêtises. Elle évolue proche de la nature, voyageant en montagne et fascinée depuis toujours par ce paysage : « ça reste un univers quand même à part, qui me correspond, qui m’a aidée à me construire je pense ». Actuellement étudiante en deuxième année de Sciences de la Vie et de la Terre à Dijon, elle a de grandes ambitions professionnelles. En parallèle, la jeune femme suit une licence en Droit, à distance, pour viser un Master Droit de la Montagne. Alors avec Pénélope, on a parlé de cross, de piste et de trail. Mais comme son équilibre trouve racine dans la variété, elle m’a parlé de créativité et de construction d’identité. On a ouvert ensemble le dossier de ses performances et de l’ombre qui les a interrompues.


Revenir à la créativité pour mieux revenir en course à pied

    Lorsque l’on voit courir Pénélope, on se demande de quel sport elle est issue à l’origine. La première fois, elle m’explique qu’elle est aussi danseuse. « Je voulais absolument faire de la danse classique et puis à sept ans j’ai commencé. J’en ai fait pendant toute l’école primaire et après j’ai un p’tit peu arrêté. Je suis beaucoup l’actualité de la danse contemporaine aussi. »

    Quand elle a de gros objectifs course à pied dans le viseur, Pénélope a besoin de revenir à la créativité. Cela l’empêche aussi de se dévaloriser : « Tout ne tourne pas toujours autour de la course à pied, j’ai un peu d’autres choses, d’autres talents si on peut dire (rire). »


Premiers footings

    Il y a ceux dont les professeurs d’EPS les ont traumatisés du sport à vie, et ceux comme Pénélope, pour qui l’histoire d’amour a commencé là, entre le CM1 et le CM2 : « On avait notre enseignant, qui était aussi directeur de l’école et qui aimait beaucoup la course à pied. Il faisait beaucoup de trails et d’ultras, notamment. On avait deux séances de sport à l’école. La première de la semaine, on courait. » C’est à partir de ce petit footing de deux kilomètres hebdomadaires que Pénélope a pris goût à la foulée. Elle doit aussi cet amour du sport nature à ses parents, adeptes de randonnée, de vélo et de course à pied. Au collège Pénélope participe à des courses, puis aux cross UNSS : « Ça m’a tout de suite plu et au lycée j’ai essayé de refaire des cross. C’est comme ça en fait que ça a commencé. »


De la boue et de la piste

    Une étape par laquelle beaucoup de coureurs passent et qui leur permet de se forger un mental : le cross-country. « C’est assez spécial comme esprit, mais je trouve que c’est un peu comme un jeu. » Pénélope décrit ce « jeu » comme une sorte de guerre où tout le monde s’affronte sur l’épreuve de la vitesse. Mais elle révèle qu’à la fin, « on est super content de nous et tout le monde se félicite ». La coureuse me décrit l’ambiance sur la ligne de départ, les corps électriques, le bruit des supporters, le sifflement des starters, le climat frais : « C’est une école de la course à pied, aussi ». Pénélope affirme qu’une saison de cross lui donne l’énergie nécessaire, physique et mentale, pour faire une bonne saison de trail.

    En janvier 2022, la jeune femme monte sur le podium de son tout premier cross, les championnats de Côte d’Or, dans le cadre de la fédération française d’athlétisme. A l’époque où le covid est encore virulent, il manque bien des participants : « C’était un peu la chance du débutant ». Pénélope s’élance, sans vraiment savoir ce que ce cross donnera. « Et en fait, hop, tout d’un coup je suis arrivée à la fin de la course, j’ai passé la ligne d’arrivée, j’étais troisième, on m’a dit : allez vite faut aller au podium ! Là je comprenais pas ce qui m’arrivait. » Les étincelles encore dans les yeux, le jeune talent avoue que cette victoire lui a donné confiance.

    Cette même année, pénélope rejoint son club d’athlétisme. A ce moment-là, sa pratique devient de plus en plus sérieuse : des horaires précis, un vrai entraîneur, d’autres athlètes, des séances comme « devoirs » en cas d’absence… « C’est vrai que ça m’a tout de suite donné un rythme, quelque chose pour m’aider aussi dans mes études. »


Une année sans

    Dans ses objectifs 2024, la coureuse ambitionnait une saison de cross, ses premiers 3000 m, les France de course en montagne, le 10 km sur route et enfin un été de trail. Mais elle confie qu’elle ne les a pas tous remplis. Sa manière de s’en détacher m’inspire. Elle revient simplement sur les faits, acceptant de n’avoir pas bouclé l’année comme elle l’espérait. « Je doutais beaucoup de moi par rapport à mes études et en course à pied. En fait j’ai changé de club quand je suis venue faire mes études à Dijon, et j’ai un peu perdu mes repères. Je me suis sentie assez… en fait j’étais assez fatiguée. Je comprenais pas forcément pourquoi, c’était surtout mentalement. » Après une saison de cross où elle ne parvient pas à se qualifier aux Championnats de France, contrairement à l’année 2023, elle retrouve son aplomb à la fin de l’été grâce au trail. On l’espère, 2025 sera peut-être enfin l’année où elle validera tous ses objectifs !


Courir pour se trouver

    Dans un commentaire sur Instagram, Pénélope écrit : « J’ai souvent du mal à connaître mes motivations profondes mais pour la course, c’est différent ! » Ses mots m’ont interpellée, j’ai trouvé ça beau. Je lui ai donc demandé pourquoi avec la course à pied, tout était si différent. Question difficile à laquelle la jeune femme répond de manière très introspective : « Au début, j’arrivais pas forcément à savoir où j’allais. Par exemple j’étais très scolaire. A l’école j’avais vraiment des notes excellentes, je mettais la barre très haut. Parfois c’était même stressant et en fait je savais pas… j’avais pas vraiment d’objectif profond sur le long terme. Et puis avec la course à pied, j’ai découvert plein de choses que je pourrais faire. C’est une manière de se révéler, de s’affirmer, et voilà, construire quelque chose en fait. J’avais l’impression de pouvoir construire quelque chose de nouveau, une facette que j’avais pas forcément exploré avant. »

    Elle dit ensuite quelque chose qui me touche beaucoup : « Ça m’a appris à rester humble aussi ». Même si c’est toujours agréable de flatter son égo, Pénélope trouve important de conserver la valeur d’humilité : « Tu arrives sur les courses ou tu vas au club, t’as des gens qui ont un niveau peut-être plus avancé, et puis des fois ça t’aide. Au lieu d’envier les gens, il faut les admirer. C’est ton modèle. » Humble face à la vie et humble face aux autres, voilà ce que prône Pénélope dans « sa » course à pied.


Les ingrédients d’un bon équilibre

    Perfectionniste et exigeante envers elle-même, Pénélope prend le sport comme ses études très au sérieux. Si au lycée elle travaille de manière acharnée jusqu’à oublier le sport, elle reconnaît retrouver un meilleur équilibre depuis qu’elle place sport et études au même plan. L’un ne va pas sans l’autre : « Je me rends compte aussi que si je ne fais que de l’exercice physique ça va pas non plus. J’ai besoin d’être stimulée mentalement. » Comment se sent-elle quand elle court ? Apaisée, tout simplement. Mais son esprit ne s’arrête pour autant jamais : « Au début ça m’aidait, quand je courais un p’tit peu comme ça, quand c’était pas encore régulier, à trouver des solutions à des problèmes. Même à des DM de maths en fait (rire). » Comme immergée dans sa bulle, au cours d’un simple footing ou d’une séance intense, Pénélope se sent portée : « On a à la fois les pieds sur terre et à la fois un peu au-delà. »


Quand le corps ne répond plus : RED-s et conséquences

    Septembre 2024. Après des mois compliqués, Pénélope accroche un dossard sur une course qu’elle connaît bien, le 10 km du Run’In Vitteaux, « à la maison ». Son seul objectif est de prendre du plaisir, mais il faut croire que cet état d’esprit la porte enfin, à nouveau, vers la performance. Elle termine en effet 3ème Féminine. 


    Retour dans le temps. Les mois précédents, elle entre dans une fatigue intense. Ce qu’elle croit au début n’être qu’une simple fatigue passagère se révèle bien plus profonde. « Je continue en fait les entraînements en me disant : ouais un beau matin je vais me réveiller, je vais bien courir, hop, pis je vais faire une course et ça va se débloquer. Ça va redevenir un peu comme avant. » Mais elle perd tout plaisir dans les cross, s’en prend à tout. Et malgré cette sorte de colère mêlée à la fatigue, Pénélope n’oublie jamais la raison qui la pousse à aller courir : son équilibre, son bien-être, son apaisement.

    Alors qu’elle n’a plus de cycle menstruel pendant un an et quatre mois, la jeune femme consulte un médecin. Elle se rend compte que parallèlement à sa très bonne saison de course à pied en 2022-2023, elle ne mange pas assez : « Mais en croyant bien faire en fait, pas forcément en me restreignant… ».

    C’est ici un sujet qui concerne bien des sportifs, et particulièrement les sportives (quatre fois plus touchées que les hommes). Le syndrome des RED-s, « Relative Energy Deficiency in Sports », se traduit comme un déficit énergétique lié à un déséquilibre entre l’énergie dépensée et l’énergie accumulée. Le corps puise sans ses réserves en modifiant son fonctionnement habituel, d’où un dérèglement hormonal. Les conséquences sont nombreuses.


  • Physiques : aménorrhée (absence de règles), cycles irréguliers voire disparus, mauvaise santé osseuse (affaiblissement des os, limite de la croissance), blessures fréquentes (dont les fractures de fatigue), système immunitaire affaibli (risque augmenté de tomber malade)
  • Psychologiques : troubles de l’humeur (irritabilité, stress, sensibilité extrême), fatigue, troubles cognitifs (difficultés à se concentrer)
  • Sportives : baisse de performance, moins de force et d’endurance, récupération plus lente

    

    Si le syndrome des RED-s est bien connu dans le monde des sports qui exigent la minceur et les sports d’endurance en général, c’est parce que le risque de troubles alimentaires est multiplié. Outre cela, certains sportifs n’ont tout simplement pas conscience de ne pas manger suffisamment. La course à pied, en raison de ses volumes d’entraînements importants, implique de compenser la forte dépense énergétique au moyen de l’alimentation, ce qui semble parfois difficile.

    Mais un scientifique en nutrition, aussi triathlète Ironman, un certain Asker Jeudendrup, nuance le sujet dans un article : « Does REDs exist ? ». Il cherche à démontrer que les symptômes peuvent découler de causes multiples. Il manque encore, dans le monde scientifique, des mesures fiables. Selon lui, le syndrome des RED-s serait un modèle populaire que l’on croit uniquement basé sur un déficit énergétique. Or le scientifique met en lumière d’autre facteurs, comme la santé mentale, l’immunité ou encore les problèmes de sommeil.


Montagne de cœur 

    Sur ses réseaux sociaux, Pénélope partage beaucoup de photos du Massif de la Meije depuis le plateau d’Emparis, près de La Grave dans les Hautes-Alpes (05). Entre parois, glaciers et vallées profondes, ce massif montagneux est la terre d’accueil des alpinistes, skieurs, grimpeurs, randonneurs, et bien sûr traileurs ! Tombée amoureuse de ce paysage, elle ne s’en lasse pas.


    Je demande à Pénélope ce que « L’ascension » signifie pour elle. Fidèle à sa personnalité multifacette, elle me donne plusieurs versions de réponses, qui, je trouve, amènent toutes à la même définition : du voyage et de l’expérience.

    

« Je suis croyante, je suis née dans une famille chrétienne. Mes parents ont été élevés dans la foi, mais on n’est pas pratiquants. Et c’est vrai que ça me fait aussi penser à l’ascension… finalement chrétienne. Et… c’est cette idée de temps aussi. C’est quelque chose qui peut prendre du temps, et pour ça on doit… comment dire… il faut vraiment s’investir, être dans l’instant, garder le goût des choses, de la vie. Pour moi c’est un voyage aussi. Forcément quand on court… c’est un voyage à travers la vie, le temps, l’espace. »




Propos recueillis par Lola Piffero


Sources

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