Cours jeunesse, cours

 



    Si avant le trail était un sport réservé aux anciennes générations, il séduit désormais les plus jeunes. Mais la motivation derrière la course en montagne n’a-t-elle pas changé ? Pour quelles raisons les jeunes ont-ils adopté la pratique du trail ? Curieuse de sociologie, je me suis penchée sur le nouveau regard que les jeunes portent sur le trail, par rapport aux générations précédentes. Courir ne semble plus seulement un moyen de préserver sa santé, c’est bien plus que ça.


    On n’a jamais autant parlé de progrès qu’aujourd’hui. Le progrès technique ou encore scientifique. Mais le progrès personnel, c’est le nouveau sens que l’on donne à nos vies. D’où nous vient cette hargne, cette volonté de dépassement ? La course à pied, tout le monde la connaît pour le sentiment de liberté qu’elle procure. Courir, c’est la santé, mais courir dans la nature et la montagne en défiant les autres, c’est une tout autre excitation.


Strava, l’appli de la performance

    Ce réseau social sportif séduit une large communauté de coureurs et cyclistes, entre autres. Quelques études ont analysé les pratiques sportives enregistrées et en ont observé des différences selon les générations. D’abord, le vélo est majoritairement pratiqué par la génération des baby-boomers (nés entre les années 1940 et la fin des années1960), alors que les générations Y (nés entre les années 1980 et 1990) et Z (nés entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000) préfèrent la course à pied. En termes d’horaires, il semblerait que 49% des baby-boomers ont tendance à programmer leurs sorties avant 10 h le week-end, contre 34% seulement chez la génération Z. 

    Dans l’esprit de la jeune génération, la performance sert de motivation à faire de l’exercice. L’atteinte d’objectifs et la réalisation de performances invitent ces jeunes sportifs à persévérer et surtout, à repousser toujours plus loin leurs limites. Une forme de détermination moins importante chez les autres générations, qui pratiquent essentiellement dans un objectif de santé. Est-ce donc une histoire de génération ? Perd-t-on l’esprit de compétition en vieillissant ?


La génération Z, jeune esprit de compétition

    Pourtant perçue comme la génération la moins active, la génération Z fait partie de celles qui participent à rendre la course à pied populaire. Sur Strava, 11% des marathoniens sont des jeunes. En plus de participer, ils performent remarquablement bien. Parce que performer, c’est progresser. Mais cette progression sportive semble impacter la progression dans les autres domaines de leur vie. Le terme de « satisfaction », si bien adopté par ces jeunes langues, colle tout à fait à leur ressenti durant la compétition.

    Pour beaucoup, la course à pied n’était qu’un sport de « boomer », ennuyeux et rébarbatif, difficile. Alors le trail, n’en parlons pas. Il n’y avait que les extra-terriens pour s’infliger une telle épreuve physique ! Mais courir et accrocher une médaille de finisher autour de son cou donne le ton du véritable accomplissement. La fierté ressentie nourrit l’envie de continuer, à tout jamais peut-être. Monter sur un podium, exploser son record personnel, ce sont les raisons pour lesquelles le trail séduit les jeunes. Lorsque l’on débute, la rapidité de progression est assez exceptionnelle. On dit que les jeunes sont impatients, c’est peut-être donc le sport idéal pour eux.


Un sport solitaire qui rapproche

    Une génération absorbée par les écrans, peu dégourdie et à tendance « je-m’en-foutiste », dit-on. Une génération qui ne sait plus socialiser. Une génération sur laquelle on porte presque un regard triste, moi la première. Déçue par les regards froids, les échanges qui aboutissent à des culs-de-sac ou encore le teint terne des sourires. Dépassée par ces autres jeunes eux-mêmes dépassés, triste de ma propre génération, parfois gênée d’en faire partie. Je crois que je ne suis pas seule. Plus que jamais, je crois qu’on a besoin de se retrouver. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les sorties en boîtes de nuit ne sont plus si tendances. Maintenant, l’objectif, le « goal » comme on dit, c’est d’adopter un mode de vie sain. De plus en plus de jeunes s’ouvrent aux clubs de course à pied, qui naissent de cet engouement. Un engouement qui sonne presque comme un appel urgent. Besoin de voir d’autres personnes saines, de se dépenser, de transpirer, de s’encourager. Seul dans sa bulle mais ensemble dans le même effort. Par exemple, les jeunes femmes avouent se rassembler lors de sorties course à pied pour se sentir plus puissantes, moins en insécurité, moins honteuses. Courir ensemble, c’est un symbole de puissance. Vous savez ces militaires qui lors de l’échauffement courent en troupeau, treillis et rangers, lourds sacs à dos. Préparés pour partir au combat. Des trottinements en rythme. Le bruit des respirations. Le regard droit devant. Les autres autour de soi. La sécurité. La force. La puissance.

    La période du Covid a fait des ravages, tant dans les relations que dans l’économie mondiale. Pour reprendre l’exemple des boîtes de nuit, c’est en raison de leur fermeture que les jeunes ont dû trouver d’autres moyens de se rassembler. 

    Je trouve notre ère tout à fait paradoxale. Nous sommes partagés par l’artificialité des réseaux sociaux et le désir profond d’authenticité. Partagés entre les publicités de fast-food et de campagnes sportives. Perdus derrière nos écrans, perdus en face des gens. Mais dans le trail, on n’a pas besoin de se parler. En fait, on a tous le même besoin de liberté.


Plus que jamais besoin de nature

    Ces dernières années, le phénomène de dépression chez les jeunes est en pleine croissance. C’est assez alarmant. L’anxiété est bien présente, conséquence directe pour beaucoup de la condition environnementale notamment. Tandis que le goudron s’étend sous nos pieds, en permanence, les sentiers, les cailloux et la montagne sont des terrains plus rares au quotidien. Courir dans l’herbe, rien que ça, c’est soulever un vent de liberté. 

    Sur les sentiers, je me sens vivante, accomplie, juste à ma place. Je n’ai besoin de rien d’autre, ce simple cadre me suffit. L’exception dans la simplicité. Les jeunes aiment le trail parce qu’il offre une ouverture à un monde différent. Un monde qui a pourtant toujours existé, à portée de main. Mais qu’on a trop oublié. Je crois qu’on a terminé un cycle. Mais il semblerait qu’on ait besoin de retrouver la phase première de ce cycle : celui de l’authentique contact avec la nature.



Lola Piffero



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