Quand la pente est raide
Lorsque
je repense à la petite fille que j’ai été, je revois mes épisodes de larmes
lors des montées à vélo. Dans ces moments je me disais que jamais je
n’apprécierai l’effort. Aujourd’hui c’est ce qui donne du sens à ma vie.
L’effort dans le sport comme dans le travail, l’apprentissage. Je ne pleure plus
dans les montées mais je reste la même hypersensible dans la vie. Pourtant je
sais que le trail me permet de surmonter un tas de difficultés qui se
présentent comme de vrais défis pour moi. Alors je me questionne : un athlète
fort mentalement dans son sport l’est-il nécessairement dans sa vie
quotidienne ? Autrement dit, la force mentale qu’exige le sport
permet-elle de développer une force semblable pour surmonter les défis de la
vie ?
Si
l’on prend l’exemple du sport à haut niveau, la force mentale a-t-elle
réellement un impact sur la performance des athlètes ? Le corps
est-il capable de se dépasser sans la dimension mentale ? Un sportif de
haut niveau fonctionne-t-il comme une machine ? On parle depuis peu, dans
le milieu sportif professionnel, de la préparation mentale. On prend enfin en
compte l’importance de la dimension psychologique sur la performance. Car même
au-delà de la sphère sportive, ces athlètes de haut niveau souffrent bien
souvent, en silence, de leurs défaites et de leurs échecs. Cela impacte clairement
leur vie personnelle et occupe leur esprit parfois de manière négative.
La force mentale chez le sportif de haut niveau : théorie des spécialistes à travers le temps
L'échec
L'idéal psychologique
Pour
comprendre plus en profondeur le concept de force mentale, je me suis penchée
sur une revue scientifique qui met en avant son évolution dans le temps. De la
même auteure, Marie-Eve Purgeon, j’ai lu une partie du mémoire sur l’étude de
ce concept menée auprès d’athlètes québécois francophones de niveau
universitaire. Beaucoup de spécialistes et de chercheurs en ont proposé leur
propre définition. Loehr, par exemple, la définit telle que « l’habileté
de performer au plein potentiel de ses habiletés et de son talent de façon
constante, dans un contexte de compétition ». Il parle ici d’habiletés
psychologiques comme la combativité, la détermination ou encore la résilience émotionnelle.
D’autres qualités s’ajoutent à cette liste et seraient le résultat d’un véritable
apprentissage, afin d’atteindre une forme d’état intérieur idéal. On l’appelle
en anglais « Ideal Performance State », ou IPS, « l’état
d’éveil physiologique et psychologique idéal pour performer à son
maximum ».
L'adaptation
En 1993 Pankey estime qu’un faible niveau de force mentale rendrait difficile la gestion du stress pour le sportif. Ses habiletés d’adaptation seraient inefficaces, à tel point qu’il se verrait traversé par le sentiment d’impuissance, parfois jusqu’à la dépression. Il écrit : « L’absence de force mentale interférerait avec les habiletés de l’athlète à s’adapter aux situations de défis, ce qui affecterait de façon négative l’image qu’il a de lui-même. »
L'énergie mentale
D’après
beaucoup d’entraîneurs et d’athlètes, la concentration et la persévérance
seraient les deux composantes majeures qui façonnent la force mentale. En 2002
Jones et ses équipes hiérarchisent douze attributs reconnus chez les athlètes
que l’on estimait fort mentalement. Parmi eux, la croyance de posséder des
qualités et des habiletés uniques, le contrôle psychologique face aux
situations incontrôlables et imprévisibles, ou encore repousser les frontières
physiques et émotionnelles de la douleur. De ces conclusions se dégage donc une
définition propre à leurs recherches sur la force mentale, n’étant ni plus
ni moins qu’un « avantage psychologique inné ou acquis qui permet en
général à l’individu de mieux gérer que l’adversaire les différentes demandes
liées aux sports pratiqués et d’être plus constant et meilleur que l’adversaire
dans le maintien de sa détermination, de sa focalisation, de son nveau de
confiance en soi et de son contrôle de soi dans les moments de pression ».
Suite à ses analyses, Bull établit dès les années 2000 une pyramide pour mieux interpréter les piliers de la force mentale. Ainsi, le caractère fort (tough character), qui regroupe l’indépendance, la compétitivité ou encore la capacité de réfléchir sur son propre processus de développement. Puis l’attitude forte (tough attitude), soit la détermination, la disposition à prendre des risques ou la tendance à ne jamais s’avouer vaincu. Enfin le processus de pensée fort (tough thinking), un mode de pensée optimal adopté par l’athlète lors de compétitions et une certaine efficacité reconnue dans sa prise de décision.
En
2008, Gucciardi va plus loin. Il projette l’idée que la force mentale se
comprend comme un construit multidimensionnel, constitué de composantes
affective, cognitive et comportementale. On le qualifierait de mode réactionnel
tridimensionnel. Selon lui, la croyance en soi et en ses capacités est la
composante la plus importante de la force mentale. Cette dernière a une
dimension particulièrement intéressante dans les situations de blessures ou de
pression, en général mal vécues par le sportif.
L'anticipation
Quelques
années plus tôt, Kelly donne naissance à la Théorie des Construits Personnels
(TCP), reprise par Gucciardi pour identifier les facteurs qui contribuent à la
compréhension de la force mentale. Ce qui a particulièrement retenu mon
attention étant la notion d’anticipation. A travers cette théorie il s’agit de
comprendre et d’anticiper les événements pour s’y adapter le plus efficacement
possible. Personne n’est plus spécialiste que l’athlète lui-même sur ses
propres expériences vécues. La définition qui accompagne cette théorie est la
suivante : « La force mentale est une collection d’expériences
développée et inhérente aux valeurs, aux attitudes, aux émotions et aux
cognitions (spécifiques à chaque sport et aux sports en général) qui influence
la façon avec laquelle un individu approche, répond et évalue les situations
négatives et positives (la pression, le défi et les situations d’adversité)
afin d’atteindre de façon constante ses objectifs) ».
De l'inné ou de l'acquis ?
Dans
son mémoire, Marie-Eve Turgeon expose deux visions différentes de la force
mentale. D’après les études de spécialistes, elle dévoile que la force mentale
peut être perçue comme un trait de personnalité, donc qu’elle est parfois innée.
En 1955 Cattell effectue divers travaux sur la personnalité. Selon lui le
concept qui nous intéresse ici ferait partie des seize traits primaires de la
personnalité d’un individu. Celui dont le niveau de force mentale est élevé
aurait une personnalité indépendante, autonome, réaliste, responsable et peu sensible
au niveau émotionnel.
Mais d’autre part, la force mentale semble pouvoir s’acquérir. Plus tard en 1985, Bloom distingue trois phases qui découpe la carrière d’un athlète de haut niveau, permettant de constater l’évolution de son niveau de force mentale. Dans la première (early year), on parle de l’implication initiale de l’athlète, soutenue par un haut niveau de détermination et de confiance. La deuxième phase (middle year) consiste à structurer plus sérieusement ses entraînements et prévoir, éventuellement, des échéances de compétition. C’est aussi la recherche d’équilibre entre le sport et les autres sphères de la vie, sans pour autant que l’athlète lâche sa concentration. La troisième et dernière phase (later year) est le moment où la pression commence à impacter l’athlète, d’où sa volonté à repousser toujours plus loin ses limites et à se démarquer des autres, croire qu’il peut donner plus que ses concurrents. C’est le moment où l’on atteint l’état d’acceptation, aussi. Accepter l’anxiété tout en étant capable de la dépasser.
Ta force mentale, à toi et rien qu'à toi
Ici
le concept de force mentale est appréhendé de manière très générale et paraît
s’appliquer à tous les sports dans leur globalité. Mais les équipes de Thelwell
nuancent qu’il devrait être étudié selon chaque sport. D’autres
caractéristiques associées à la force mentale pourraient se dégager de chaque discipline,
ce qui nuance considérablement sa définition. Je dirais même qu’une définition
n’est pas plus valable qu’une autre. Je pense humblement qu’elle est propre à
chaque sport, mais aussi à chaque sportif, de manière personnelle.
Si l’on devait comprendre très simplement ce concept, on dirait qu’il permet de surmonter les obstacles, toute situation d’adversité ou de pression, interne comme externe. Pour y parvenir l’athlète mobilise toutes ses habiletés et maintient son niveau de motivation suffisamment haut. La concentration est, de plus, un élément essentiel, comme son niveau de confiance en soi.
Le trail, dans les jambes comme dans la tête
On
entend bien souvent qu’une course, lorsqu’elle devient longue, est la
simulation d’une vie. Dans la vie réelle on vise à se sortir des situations
difficiles, à les surmonter, parce qu’on refuse de couler. Ce n’est même pas un
choix, c’est naturel. Remonter la pente est une obligation pour ne pas être en
marge de la société. C’est souvent un moment inconfortable. Pourtant c’est
passager. Ça finit par passer. Et cet état d’esprit m’a été apporté par le
trail lui-même. Quand la pente est trop raide, je n’imagine pas un seul instant
abandonner. J’avance plus lentement, mais j’avance. La force mentale, c’est
peut-être d’accepter qu’à certains moments le corps se sent plus faible, mais
l’esprit est suffisamment puissant pour prendre le relai et forcer les jambes à
continuer. Le seul échec à mes yeux, c’est de ne pas oser essayer, craindre le
moindre effort par peur de trop souffrir. Je ferais le parallèle avec
l’amour : est-il vraiment humain de s’abstenir d’aimer tout une vie par
peur du chagrin qui pourrait advenir ? Il y aura des chagrins d’amour,
mais avant ça il y aura au moins eu de l’amour, beaucoup d’amour. C’est ce qui
nous humanise.
Alors j’aimerais dédier cet article à l’amour pour l’effort. Je sais qu’avec lui aussi il y aura des chagrins et des tempêtes, mais ce n’est rien face à toute la force qu’il m’apporte.
Lola Piffero
Sources
- Louise Aubery, Jusqu'ici tout va mal : chapitre 5, "Le piège du perfectionnisme" (exemple des sportifs de haut niveau)
- La recherche de la perfection chez les athlètes, de la quête à l’obsession - Le Temps
- KIM TURGEON Marie-Ève, HALLIWELL Wayne Richard, « L'évolution du concept de force mentale chez les athlètes : mise à jour des connaissances et limites méthodologiques », Staps, 2011/2 (n°92), p. 7-21. DOI : 10.3917/sta.092.0007. URL : https://www.cairn.info/revue-staps-2011-2-page-7.htm
- Magazine nature Trail n°61 - mai / juin 2024 : rubrique "santé - mental", "Le trail, c'est dans la tête ?" (p. 68-69) avec l'expert Erik Clavery, préparateur mental et conférencier, champion du monde de trail 2011, recordman de la traversée des Pyéenées - GR10, recordman de France des 24 h
- Université de Montréal : Etude qualitative de la force mentale menée auprès d'athlètes québécois francophones de niveau universitaire (mémoire de Marie-Eve Turgeon)
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