Gianni Colli : "Avant d'être athlète, on est humain"

 



    C'est à Lyon que je rencontre Gianni.

    Me perdant un jour dans l'infinité de contenus sur YouTube, je tombe sur une vidéo d'un jeune traileur qui documente ses semaines de préparation pour un objectif de course en août.

    Fascinée par l'ambition qui l'anime à son jeune âge - bientôt vingt-et-un an -, je décide de le contacter sur Instagram pour mener un entretien. Au premier abord, on dirait qu'on le connaît déjà. Il est de ces personnes avec qui tu parles naturellement, comme si tout vous rassemblait. Hyperactif de nature, il avoue s'être tourné vers le sport pour vider son énergie. Du foot en passant par le capoeira, le VTT ou encore le CrossFit et aujourd'hui le trail, on peut dire qu'il est habitué à l'effort physique depuis tout petit. Au sortir du lycée Gianni n'hésite pas une seconde : il se lance pour devenir préparateur physique, en particulier pour les sportifs d'endurance.

    Avec Gianni, on a parlé de mission, de passions extrêmes, de nos limites qui n'en sont pas. On a évoqué l'égo et les cycles négatifs. Pour une rare fois aussi, j'ai entendu un homme parler d'amitié. Et bien sûr, surtout, on a parlé de sommets. Cette conversation a pris la forme d'un voyage, alors pour cela, j'ai eu envie de le retracer ici.



Fréquenter meilleur que soi


    Touche à tout, Gianni ne se lasse pas d’apprendre toujours plus. Dès l’enfance, il s’investit de plein cœur dans ses pratiques sportives. La première qu’il pratique est le foot. Suivie de quatre années de capoeira, un art martial brésilien, jusqu’à ce qu’il découvre le CrossFit à ses quinze ans. Puis qu’il se consacre pleinement au trail. Durant ses années de CrossFit, Gianni explique qu’il est le seul jeune qui assiste aux cours. Malgré sa fierté, il se rend compte en participant à sa compétition qu’il a encore beaucoup à apprendre. C’est justement en s’inspirant des plus grands qu’il se pousse à progresser toujours plus. « En fait, je pars du principe qu’on ne peut pas apprendre quelque chose en peu de temps. Donc moi je me suis toujours dit que pour apprendre il faut pratiquer un moment. » Et pour performer, il trouve essentiel de varier ses pratiques, de tester, d’éprouver de nouvelles sensations, pour potentiellement s’en servir dans son sport principal, ici le trail.

    Ce que j’apprécie avec Gianni, ce sont ses exemples toujours concrets qui illustrent parfaitement la réalité. Il me parle de sa compétition de CrossFit – les Affiliates Battle - dans laquelle il a pu voir des athlètes qu’il admirait. Et puis finalement, il me dit : « Mais tu vois, c’est un peu comme le trail. Dans cette discipline, que ce soit toi ou Kilian Jornet, vous partez sur la même ligne de départ. Trouve-moi un autre sport qui te garantit ça. » Réunis tous au même endroit au même moment, même si le niveau n’est pas le même. C’est ça la magie du trail. « Et pour le coup les Affiliates Battle c’était le cas ». Le temps passé à enchaîner les WODs – de l’anglais « workout of the day », soit une session d’exercices alliant musculation, cardio et gymnastique - est marqueur du niveau. Pour autant tous font les mêmes WODs, au même endroit, au même moment. C’est ce qui pousse à faire sa place, parmi les plus grands, certes. Car mêmes les plus grands ont été petits et ont commencé par admirer les meilleurs.



Percevoir chaque sommet à gravir comme une mission de vie


    La mission de Gianni, dans la vie, c’est accompagner les sportifs sur la Road2Summit, autrement dit vers leurs propres sommets : « On a juste un but, et pour y arriver on emprunte un chemin, c’est un parcours. Parfois on y arrive, parfois non. Pour moi c’est ça une mission. Même la vie c’est une mission ». Son entreprise personnelle Train2Summit est une véritable « mission au quotidien » pour laquelle il se forme par lui-même grâce à ses rencontres, aux séminaires, aux livres ou tout autre support formateur. L’enseignement qu’il donne est légitimé par son diplôme national BPJEPS, reconnu par l’Etat. Gianni comprend très tôt qu’en créant sa micro-entreprise il doit faire preuve de maturité pour assumer et espérer en vivre. En réalité, son métier en cache beaucoup d’autres, qu’il a dû apprendre sur le tard, mais nous y reviendrons.

    Se préparant lui-même pour la MCC qui aura lieu le 26 août prochain, il estime que cette course n’est pas un simple objectif sportif, c’est bien plus fort que ça : une véritable mission. C’est une ligne directrice qui l’oblige à rester discipliné. Le jeune sportif a besoin de missions pour donner du sens à ses entraînements, quand d’autres ont décidé de s’entraîner par simple plaisir, sans objectif de course. Et il l’entend. Mais au moins, il est bon de savoir parfaitement cibler pourquoi l’on pratique. Pour un podium ? Okay. Pour le kiff ? Okay. « Quel que soit ton niveau, tu te dis que c’est quelque chose d’important, pour lequel il faut que tu travailles, que tu t’investisses. »



Passion rime-t-elle avec addiction ?


    « Pour moi, on apprend dans les extrêmes ». Pour certains, c’est peut-être à débattre. Mais pour Gianni, c’est très clair. L’extrême n’a, en effet, pas forcément une connotation si négative. Pour faire simple, la passion, c’est aimer profondément quelque chose. C’est ta dose de bien-être au quotidien, ton petit shoot qui te fait te sentir heureux. Pourquoi ce serait malsain ? Selon Gianni - et je trouve sa réflexion très juste - « il y a aussi la dimension psychologique derrière les extrêmes. Car si la passion devient addiction, le problème vient plutôt du côté psychologique. » C’est la relation qu’on entretient avec cette passion qui devient destructrice. S’entraîner de manière acharnée jusqu’à se faire mal – vraiment mal -, prétextant le faire par pure passion n’est qu’un mensonge envers soi-même. En revanche, s’entraîner beaucoup mais intelligemment, pour tenir sur la durée, s’entraîner simplement pour les bonnes raisons, c’est nouer une relation saine avec sa passion. Peut-être en a-t-on tous fait l’expérience, moi la première, lorsque je m’entraînais à mes débuts en course à pied pour les mauvaises raisons.



Voyage vers les sommets


    Deux grands sommets sportifs ont marqué ce jeune Savoyard. D’abord les Affiliates Battle, célèbre compétition de CrossFit qui lui a fait prendre conscience du travail qu’il devait encore fournir pour atteindre le niveau de ceux qu’il admirait. Puis son premier trail, et pas des moins symboliques.

    C’est un jour d’août, le 6 précisément, il a dix-huit ans. Il s’élance, sous l’influence d’un ami, sur un parcours de 21 kilomètres pour 1 800 mètres de dénivelé positif. « J’ai passé la ligne d’arrivée en pleurant, parce que c’était mon anniversaire, parce que je ne me sentais pas capable d’y arriver, en réalité. Parce que j’ai mis trois heures pour finir cette course mais qu’en trois heures, tu passes par des émotions tellement différentes ! »

    C’est un voyage vers les sommets qui, en réalité, n’en finit pas. Gianni ne connaît pas de limites. Et parce qu’il est formateur, ce voyage personnel vers les sommets rend fort.




Apprendre à apprendre


    Lancer sa propre entreprise à dix-huit ans est très certainement l’un des projets les plus instructifs de la vie de Gianni. Il avoue que l’école ne lui a jamais appris à devenir autonome : « On nous prépare à tout sauf à devenir humain dans la vie de tous les jours. On ne t’apprend pas à lire une facture, à payer, à gérer ton argent, on ne t’apprend pas à te faire plaisir, à te connaître toi-même, on ne t’apprend rien de tout ça. Mais au fond, quand tu es passionné par quelque chose tu apprends mille fois plus vite. » Ce que je comprends aussi de ce jeune entrepreneur, c’est qu’il a su remettre en question ce qu’il pensait ne pas aimer : « Par exemple, moi je détestais lire. Et puis je me suis rendu compte que la lecture ne se résumait pas forcément à ouvrir un roman. Il y a aussi des livres sur le trail, sur le sport ou sur la physiologie. »

    Et enseigner, il faut dire que c’est une chose qui s’apprend. « Je ne me croyais pas capable d’apprendre quelque chose à une personne plus vieille que moi, pourtant c’est ce que je fais tous les jours. »

    Moi-même jeune, je me dis que Gianni a du cran. Avouant ne pas être spécialement proche de ses parents, il développe très tôt l’ambition de voler de ses propres ailes. Cette petite voix dans sa tête l’a poussé à devenir un homme indépendant : « Ce qu’on ne t’a jamais appris, et bien maintenant tu vas l’apprendre par toi-même. »



Ce n'est rien, juste un moment de down


    Gianni, c’est un être humain émotif. Chez lui, comme chez beaucoup d’autres, la plupart des blessures découlent de ses émotions. Une période de down dans la vie et bam, une cheville qui tiraille. Un chamboulement et bam, un dos tout contracté. Et puis le calme revient, les douleurs s’apaisent. Il en conclue que « la blessure, c’est plutôt de l’émotif que du structurel ». Mais il insiste sur le fait que ça n’empêche pas de recourir au travail structurel pour traiter la zone douloureuse. La pire chose à faire est d’attendre que la douleur passe toute seule.


    Prenant l’exemple des athlètes qu’il entraîne, Gianni prête attention à leur santé mentale : « S’ils traversent dans leur vie un moment compliqué, il faut que je le sache pour ensuite adapter ». En effet, que le chamboulement soit d’ordre négatif ou, au contraire, positif, alors les performances sur une même séance ne sont pas les mêmes. Pour cette raison, le jeune préparateur ne recommande pas les plans d’entraînements préconstruits, à moins d’éduquer les sportifs à reconnaître les signes envoyés par leur corps. Cela reste difficile de suivre un plan universel, car chaque corps est différent.

    Une spirale négative dans la vie, ça arrive. Dans ces moments, Gianni avoue ne plus avoir envie de s’entraîner, ni même de travailler ou de s’investir aussi fort. « Mais quand je suis là-dedans, je me dis que tout ce que je n’ai pas envie de faire, il faut que je le fasse. Et c’est comme ça que je m’en sors. » C’est une première étape pour venir à bout de ce cycle. Ensuite, l’idéal est de s’imposer un cadre, selon le jeune sportif. Réinstaurer une discipline revient à s’accrocher à un objectif : celui de retrouver l’envie qui nous animait tant. La dernière chose est essentielle et pas des plus simples. Même si c’est difficile, se féliciter de chaque petite victoire. Dans un monde où l’on veut faire toujours plus et toujours mieux, où l’on se satisfait difficilement de soi, il est bon de reconnaître les petites étapes qui fondent ensuite les grandes réussites. « Pour moi il faut se rappeler, quand ça ne va pas, de sa propre mission. » 



Oser voir grand


    L’esprit humain est doué pour s’inventer des limites et des obstacles. C’est pourquoi j’ai demandé à Gianni sa définition des croyances limitantes. Il a d’ailleurs partagé un schéma que j’ai trouvé pertinent. Ce schéma forme un cercle vicieux. Les croyances limitantes définissent nos pensées, tandis que celles-ci influencent nos manières d’agir. Ensuite, les évènements de notre vie sont les conséquences directes de notre état d’esprit, et donc de nos actions. Chaque évènement renforce alors les croyances limitantes et ébranle la confiance en soi. Gianni considère que les croyances limitantes représentent en fait un véritable manque d’ouverture. Pour reprendre son terme, c’est « s’obstiner » dans l’idée que l’on se fait de nos propres capacités. Cela revient finalement à ne pas oser voir plus grand. Et comme le prouve ce blog, « oser » est un terme puissant. Oser voir plus grand, c’est oser se faire confiance, c’est oser s’engager dans le défi.




Partout dans la vie, la compétition ?


    Le rêve d’enfant de Gianni, c’était devenir sportif de haut niveau. Déjà petit, sa volonté de fer le poussait à s’améliorer toujours plus, à élargir ses performances. Un esprit mature qui lui a permis de croire beaucoup en ce rêve. Mais en vieillissant, « la compétition me permet plusieurs choses : voir mon niveau actuel, voir si ce que j’ai planifié en termes d’entraînement fonctionne, et savoir si je peux le reproduire sur mes clients. » C’est en effet un travail de longue haleine, puisque cela consiste à tester puis valider ses méthodes sur son propre cas, s’en inspirer pour ensuite le reproduire sur ses clients.

    Mais la compétition en elle-même pour le traileur, « c’est donner le meilleur de moi-même pour progresser le plus loin possible. » Il ne cache pas son « gros esprit de compétition », qui lui donne aussi le bagou et l’assurance nécessaires pour faire connaître son entreprise. Il veut garantir des services de qualité et pour cette raison, la compétition s’installe avec lui-même. C’est travailler dur pour progresser. C’est aussi défier les concurrents dans le domaine, qui sont visiblement de plus en plus nombreux. Se démarquer, notamment par la communication qui habille l’offre, n'est pas une chose évidente pour tout le monde. C’est un métier que Gianni a dû apprendre en même temps que celui de préparateur physique. Personnellement, je crois que se démarquer et faire sa place, c’est surtout se servir de nos particularités pour en faire des forces. Proposer quelque chose d’unique grâce à nos facilités, à toutes les facultés qui nous sont naturelles et évidentes.

    Voir la compétition dans chaque domaine de la vie fait partie intégrante de toute progression, parce qu’incontestablement, on se compare. Je crois que la comparaison est naturelle et qu’il nous est impossible de s’en défaire totalement. Ce qui devient dangereux avec celle-ci, c’est lorsqu’elle nous enferme et nous rend méchant. La comparaison, c’est peut-être aussi de l’inspiration. C’est constater ses forces et ses faiblesses par rapport aux autres, et apprendre à les utiliser pour se distinguer.



A ceux qui aiment parler d'amitié


    En plus de son métier de préparateur physique, le jeune homme a fondé avec son ami Nathan, âgé de vingt-quatre ans – à l’origine de Plus Jamais Faible –, un podcast qu’ils ont nommé « Processus Talk ». Tous deux se rencontrent lors d’un séminaire autour du CrossFit à Genève. Alors qu’il est demandé de construire des binômes, Nathan insiste pour se mettre avec Gianni, impressionné par ses connaissances et curieux de connaître son parcours d’études. « On s’est rendu compte qu’on parlait la même langue. Tous les termes techniques, on les connaissait, on se comprenait. » Au fur et à mesure qu’ils échangent, les deux jeunes hommes se découvrent des points communs et se retrouvent dans le même état d’esprit. « Notre rencontre est incroyable ».



    Nathan propose un jour de fonder un podcast avec Gianni. Au début perplexe, ce dernier finit pourtant par croire au projet. C’est à Chamonix qu’ils tournent leur tout premier épisode de podcast. Leur particularité, c’est qu’ils tournent en pleine nature, joignant donc l’image au son. Le podcast n’est pas qu’à écouter, il est aussi à regarder, et ça c’est leur touche personnelle. Simplement deux gars sur leur caillou qui partagent expériences et connaissances, qui parlent de sport et d’aventure, intégrant parfois le témoignage d’intervenants. « Bien au-delà de partager nos expériences et d’échanger l’un et l’autre avec Nathan, et bien notre podcast, c’est aussi notre laboratoire, notre école pour apprendre, grâce aux intervenants. »

    Entendre Gianni parler d’amitié m’a beaucoup touchée. D’abord parce que je suis sentimentale, certes, mais surtout parce qu’il est rare d’entendre les hommes raconter ces choses-là. L’amitié masculine est tendre, je trouve. C’est ce que l’on ressent dans le podcast des deux jeunes hommes. Cette connexion, cet humour et l’écoute dont ils font preuve lorsque l’autre parle, donnent une dimension aussi humaine qu’authentique à chacun des épisodes.




    J'ai demandé à Gianni ce que l'Ascension signifiait pour lui. Il m'a répondu que "pour la plupart des gens, l'ascension représente un tracé linéaire vers un sommet. Alors que c'est très irrégulier, il n'y pas que des hauts dans une ascension. En trail, si tu pars à mille mètres d'altitude, que tu arrives à deux mille mètres, tu n'as pas fait mille mètres de dénivelé positif. Tu peux avoir redescendu de cinq-cents, puis remonté. Et c'est quand même une ascension. Je le perçois comme ça pour tout. L'ascension, c'est un chemin parsemé de défis, de défaites et de réussites."


    A celles et ceux qui osent confronter leur corps à tout type de dénivelé dans la vie. Merci Gianni.


Lola Piffero

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Gravir des sommets, dans le trail comme dans la vie

Paul Boulet : "Un pas de plus dans le monde des grands"

De la souffrance à la passion : l'ascension d'une femme qui a osé pour changer