Une passerelle douloureuse vers la progression : j'ai nommé la blessure
Vous avez déjà réfléchi à la signification d’une renaissance ? Moi j’ai eu le temps. J’en ai conclu qu’il fallait pour cela traverser une « petite mort ». C’est la fin d’un cycle, le début d’un nouveau. J’ai aussi conclu qu’une « petite mort » n’avait pas forcément une dimension dramatique. Il m’a fallu traverser une blessure, pas grand-chose, mais juste assez pour beaucoup pleurer. En attendant, j’ai appris qu’espérer que les choses changent ne sert à rien. En revanche, faire bouger les choses, c’est possible. Et ça se passe d’abord dans l’esprit.
Je ne pensais pas que cela me tomberait dessus, à moi aussi. Je n’avais pas prévu de voir ma progression perturbée, ni mon plan d’entrainement repoussé, ni devoir renoncer aux courses prévues ces prochains mois. Pourtant, cette douleur est apparue, presque insignifiante au début. C’est là que j’ai découvert une autre dimension du sport : la blessure. Des semaines durant lesquelles je suis passée par des émotions très diverses, surtout négatives. Lorsqu’enfin, j’ai accepté de percevoir cette blessure comme une renaissance. Ces deux derniers mois, c’était ma « petite mort ». Et dans ces moments-là, on a le droit d’être triste. Moi en tout cas, j’ai accepté de l'être.
Vulnérable, mais pas abattable
J’ai appris quelque chose sur moi : je suis impatiente. Notamment dans le sport, peut-être comme beaucoup. Alors que je me voyais progresser, j’ai poussé mon corps à bout, jusqu’à m’épuiser. Pourtant consciente de cette fatigue physique, j’en faisais toujours plus, de semaine en semaine. Je m’obstinais à rendre chaque sortie de plus en plus difficile, convaincue que c’était la base de tout progrès. Je me reposais peu, j’enchaînais comme une machine de guerre, quand tout a fini par s’arrêter. Vous savez, comme un burn-out.
Après une course de huit kilomètres sur laquelle je m’étais vraiment donnée, une vive douleur dans la hanche gauche s’est réveillée. Trois jours plus tard, je me suis rendue à mon entraînement d’athlétisme, l’erreur que je n’aurais pas dû faire. Dans les vingt-quatre heures qui ont suivi, chaque pas était difficile. Me hisser sur le trottoir grâce au pied gauche m’était impossible. Alors matin et soir, je massais la zone avec de l’huile d’arnica, mélangée à l’huile essentielle de gaulthérie (reconnue pour ses vertus anti-inflammatoires et antalgiques). Je ciblais également des étirements précis. Je continuais de courir, mais la douleur me limitait énormément. J’ai délaissé la vitesse et le dénivelé. J’ai fini par prendre la décision d’arrêter de courir, le temps que l’inflammation se calme complètement. Une pause d’une semaine n’a pas suffi. J’ai repris doucement, pourtant j’ai rechuté. Rechuter. Le même mot qu’on utilise pour parler d’addiction. Cercle vicieux.
Alors
j’ai opté pour une pause de dix jours. J’avais l’impression de vivre une cure
de désintoxication. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça
veut dire beaucoup. Parce que le sport est ma drogue.
Certains estimeront qu’une si petite blessure ne vaut pas autant de frustration qu’une pathologie ou blessure plus grave. Car oui, il y a toujours plus grave. Vous savez, ces personnes qui pensent vous remonter le moral en vous répétant : « Dis-toi qu’il y a pire, il y a des personnes qui donneraient n’importe quoi juste pour marcher et qui sont condamnées à rester en fauteuil roulant ». En quoi est-ce que ces paroles sont censées nous aider ? Est-ce que ça vous remonte vraiment le moral, à vous ? On dirait qu’on n’a pas le droit d’être triste si on n’a pas une raison suffisamment valable, une histoire dramatique. C’est pour ça qu’on n’ose pas le dire, quand ça ne va pas. "Ça va ?" et de répondre : "Oui, ça va. Et toi ?"
Être triste pourtant, ce n’est pas être faible. Sur le coup, on ne s’en rend juste pas compte.
La patience, c'est du courage
Certaines
pathologies imposent une décharge totale. A ce stade, on ne peut qu’apporter
des soins de confort pour apaiser la douleur et patienter le temps que les
tissus se reconstituent. Lorsque que l’on est en reprise, là encore la patience
est un enjeu, pour éviter la rechute. Il y a donc une phase de renforcement,
afin de réhabituer les tendons, les muscles et les articulations. Puis la phase
tant attendue, la reprise de la course. On l’alterne généralement avec la marche
pour réhabituer le corps aux contraintes mécaniques, tout en douceur. Le piège
dans lequel on peut tomber, c’est considérer que la réduction de la douleur signifie
guérison totale. Il faut en effet du temps au corps pour encaisser à nouveau
les contraintes que chaque pas impose à la zone blessée.
La patience est un courage, car c’est celui d’accepter de mettre fin, temporairement, à son ascension. Ce n’est pas un échec. C’est une pause. Parfois, c’est le courage d’accepter de redescendre un peu la pente, d’avoir conscience que celle-ci est peut-être trop difficile. C’est en prendre un coup sur son ego. C’est le courage d’accepter la frustration, le repos, la tristesse. C’est aussi le courage de reprendre, malgré la peur de rechuter.
J’ai
appris que l’impatience ne me ferait pas avancer plus vite dans la montée.
Qu’une progression n’était pas une course de vitesse. Le trail en lui-même
n’est d’ailleurs pas entièrement relatif à la vitesse. C’est pour ça,
finalement, que je l’aime tant. C’est une stratégie, une maîtrise de l’effort
sur la durée. Exactement comme tout processus de progression. Alors j’ai appris
à repenser ma pratique et à porter sur elle un regard neuf, plus sain, plus
apaisé.
Cette
pause, c'est l'entre-deux : derrière toi la montagne de tes débuts, devant
toi celle que tu dois entamer différemment.
L'endurance, un cas particulier
Il
a été démontré que l’endurance favorise l’exposition aux risques de blessures,
en particulier les pathologies chroniques de surutilisation comme les
tendinopathies ou les fractures de fatigue. En trail, on s’expose aussi au
risque d’entorse lors des descentes, par exemple. On estime qu’un coureur
aurait une chance sur deux de se blesser chaque année.
Le
déficit énergétique favorise entre autres le risque de blessure. C’est lorsque
l’on dépense plus de calories qu’on en consomme. On dit alors que le sportif
est atteint de RED-s, soumis à des perturbations hormonales qui dégradent le
fonctionnement de l’organisme, comme le cycle menstruel chez les femmes. Cela
peut d’ailleurs conduire chez elles à l’aménorrhée, qui apparaît lorsque la
masse grasse du corps diminue de façon importante et impacte également la masse
osseuse. Finalement, ce schéma malsain dans lequel on peut facilement entrer -
pour viser une performance illusoire - ne conduit qu’à la réduction majeure des
performances sportives et au risque menaçant de blessures.
En
endurance, on pense souvent qu’il n’est pas utile de faire de musculation. Et
pourtant… Elle diminue de moitié le risque de blessure. Renforcer ses muscles
entraîne d’autres avantages très utiles, comme la coordination des mouvements
ou la stabilisation des appuis, et le gainage.
Après une séance difficile, il peut nous arriver de négliger les bases d’une bonne récupération, à savoir le sommeil, l’alimentation et l’hydratation. Car en deçà de huit heures de sommeil par nuit, le risque de blessure se voit multiplié par 1,4.
Les piliers fondamentaux pour enfin, en voir le bout
On
l’a dit plus haut, la nutrition est un pilier majeur de la performance. C’est
pourquoi une bonne alimentation, adaptée, variée, complète et suffisante en
quantité réduit le risque de carences. On peut aussi jouer sur quelques
paramètres alimentaires pour réduire une inflammation, du type tendinite. Il
existe en effet des aliments anti-inflammatoires (fruits rouges ou encore
légumes verts), non raffinés, complets et riches en oméga 3 (poissons gras,
huiles de colza, lin ou noix), les oléagineux (noix, amandes, noisettes) mais
aussi les épices (le curcuma reconnu comme anti-inflammatoire qui, associée au
poivre noir, favorise grandement l’absorption de la curcumine grâce à sa teneur
en pipérine). Il ne va pas sans dire que l’hydratation tient un rôle majeur, quand
elle est suffisante, puisqu’elle prévient et favorise le bon traitement des
blessures.
Dans tous les cas, l’entraînement régulier habitue le corps aux contraintes, d’où la nécessité de continuer de bouger, même en période de blessure. C’est donc un enjeu d’équilibre : s’accorder du temps de récupération tout en continuant un entraînement sportif qui ne cause pas de douleur. Un jeudi matin j’ai décidé de me lancer dans une courte randonnée. Je me sentais fière de moi. Parce que je ne suis pas restée dans l’immobilité, l’ennemi de la blessure. Continuer une activité physique permet au corps de se régénérer tout en se renforçant. Dans le quasi silence de cette randonnée, accompagnée seulement par le bruit de mes pas, du chant des oiseaux et des gouttes de pluie sur ma peau, j’ai songé que l’immobilité dans le sport, c’est comme dans la vie. Dans une période difficile - des moments de doute, des moments où tout semble être contre soi -, l’immobilité est créatrice d’un véritable cercle vicieux. Si l’on ne bouge pas, alors rien ne change. Il ne s’agit pas de bouger comme avant, mais de bouger autrement.
Dans
le livre La science de l’endurance, par le Dr. Fabrice Kuhn et Xavier
Teychenné, la récupération est définie comme « le moment, juste après
l’effort, durant lequel l’organisme se rééquilibre, se reconstruit, tout en se
mettant à niveau en vue du prochain entraînement ». Néanmoins, le
corps a besoin de se souvenir des perturbations provoquées par l’entraînement
pour s’y habituer et donc progresser. Au fil du temps et avec une pratique
régulière, les capacités de récupération sont plus grandes et permettent, petit
à petit, d’imposer des contraintes supplémentaires. D’ailleurs, la phase de
récupération n’est pas qu’essentiellement passive. La récupération active
consiste à « faire tourner les jambes », grâce à la course très douce
ou le vélo. Cela permet d’éliminer un tas de déchets métaboliques liés à
l’effort pour faciliter la circulation sanguine et le retour veineux. Ce
« retour au calme » ne doit pas entraîner de fatigue. Les massages et
automassages favorisent quant à eux la libération d’ocytocine, l’hormone qui aide
à réduire la sensation de douleur.
La santé mentale, une affaire de vie comme une affaire de sport
C’est
peut-être ce qui me fascine le plus. L’impact de notre santé mentale sur notre
santé physique. C’est fou comme la perception d’une difficulté dépend beaucoup
de notre état d’esprit. Comment, vraiment, bien la vivre ?
Il
existe des facteurs, internes et externes, de risque de blessure. Les risques
internes comprennent l’âge, le sexe ou encore les antécédents, qui prédisposent
l’athlète à la blessure. Les facteurs externes sont à la fois sportifs,
environnementaux ou directement liés à l’équipement lui-même. On en conclue que
le risque de blessure n’est pas seulement lié à une cause précise, mais il est
très souvent multifactoriel.
A
la charge d’entraînement s’ajoute donc la charge mentale. Les contraintes de la
vie professionnelle et personnelle impactent directement le niveau de stress et
la fatigue.
Tout
à l’heure, je parlais des troubles alimentaires. Les femmes sont les plus
exposées car elles craignent souvent de voir leur corps changer, prendre
quelques kilos, et s’inquiètent du regard des autres. Elles entretiennent donc
cette peur de manger plus pour compenser la perte calorique due à l’effort.
Finalement, ne vaut-il mieux pas manger plus pour durer plus ?
Dans
santé mentale, j’entends aussi comparaison. Une affaire de société. J’ai
l’impression que toute notre vie, nous nous soumettons à la comparaison. A
l’école, au travail, en amitié, en amour, en sport. Les réseaux sociaux ont renforcé
ce phénomène, et dans ce contexte je pense notamment à Strava. Cette
application devient, chez de nombreux sportifs, une obsession. On fait
constamment face aux performances des autres, on entre dans la quête désespérée
des « kudos », ces petits pouces orange qui nous donnent l’impression
d’être un « vrai » sportif, d’exister, de performer. Je trouve que
l’utilisation qu’on en fait peut rendre ce réseau plus ou moins malsain. Pour
moi, il peut conduire indirectement à la blessure, si l’on cherche à copier les
performances de sportifs plus aguerris, et qui ne sont pour nous pas encore
atteignables.
Et
comme j’aime apprendre des choses surprenantes, j’ai découvert que la
méditation pouvait booster les performances en particulier dans les sports de
précision et aiderait à atteindre la fameuse « zone ». Cette
« zone », c’est l’état d’euphorie durant l’effort, qui nous donne
l’impression de voler, justement sans effort. Connue pour améliorer la
concentration, la pratique de la méditation impacterait aussi positivement la
gestion de la douleur, réduirait la fréquence des infections par voies
respiratoires supérieures. Elle a bien sûr un impact dans le processus de
guérison post blessure.
Le
site en ligne olympics.com a partagé un article sur la santé mentale chez les
athlètes de haut niveau : « L’immense impact d’une blessure longue
sur le mental d’un athlète, avec deux psychologues du sport ». Meriem
Salmi parle de « troubles psychopathologiques » lorsque le sportif
est très affecté par sa blessure. C’est-à-dire qu’il retrouve dans le sport les
mêmes éléments que la passion amoureuse, avec ses hauts et ses bas. Dans le
haut niveau particulièrement, les athlètes ont le sentiment d’une perte
d’identité, leur sport est une sorte de raison de vivre. Isolement, anxiété,
stress, gestion difficile de la douleur et des émotions… Autant de paramètres
qui s’ajoutent à la charge mentale déjà présente.
Est-on moins légitime qu'un sportif de haut niveau ?
Je
pense sincèrement, que l’on soit athlète professionnel ou non, que la blessure
est un passage extrêmement difficile, par lequel on passe tous. J’ai compris
cependant qu’un état négatif qui nous isole autant et nous étouffe n’aide en
rien la guérison. Pendant cette blessure, j’ai redécouvert un peu plus
l’écriture. J’ai écrit pour me libérer. Je me suis souvenue que je n’étais pas
qu’une coureuse. J’ai renoué avec la natation, avec le vélo. J’ai appris à me
reposer. La course à pied m’a manqué, énormément, mais j’ai fini par ne plus
avoir peur de redevenir débutante. Ce déclic a d’ailleurs marqué la fin de ma
douleur. Simple hasard ou véritable conséquence ? Je pose de
nouvelles bases, très solides cette fois-ci, j’accepte de prendre le temps.
Mon
objectif de marathon est à la fois proche et lointain. Je commence la
préparation, doucement, pour réhabituer mon corps. Il est bon de redevenir
débutant dans son propre domaine, parce qu’en réalité, c’est ça aussi le
progrès. On ne retombe jamais vraiment à zéro, au tout début de l’ascension. Le
corps a une mémoire. On descend simplement quelques paliers, pour considérer
avec un regard neuf la montagne qui nous attend. Peut-être l’envisager
autrement. Et en réalité, tout recommencement nous amène à l’euphorie du début.
Car cette ascension n’est en rien une course de vitesse, elle est une affaire de stratégie.
La dégringolade rend humble
Je
crois finalement que dans le sport comme dans la vie, la blessure est
nécessaire. Elle apparait toujours pour une raison. Elle est essentielle pour entretenir cet amour de la
pratique. C’est comme le manque dans une histoire d’amour.
Entretenir
la flamme.
Entretenir la flamme.
Finalement
la blessure n’est rien qu’une dégringolade pendant l’ascension. Ce sont des
choses qui arrivent. C’est une pierre qui a roulé sous le pied et qui nous a
fait flancher. Comme si en pleine montée, il n’était plus possible d’avancer,
plus rien pour s’accrocher. Cette blessure devient ton parasite mental de tous
les jours. Plus les semaines passent, plus tu y penses. Parfois tu y penses la
nuit, tu te rends compte que tu sers les mâchoires de frustration en
permanence, tu souris moins, tu es juste triste.
Dans mon cas, rien ne m’apaisait, à part apprendre. Il me fallait nourrir mon cerveau de choses nouvelles, de savoirs, de lectures, de podcasts. N’importe quoi qui puisse détourner mon attention. Donc quand je ne peux plus donner à mon corps sa dose d’endorphines par le sport, je blinde mon cerveau, comme par compensation.
Alors si ta vie ne parait qu’être une sombre saison, un champ de décombres, un long tunnel dont tu ne vois pas le bout, qu'importe, visualise-toi quand tu redécouvriras la lumière. Projette et prévois ta renaissance. Il y aura toujours un lever de soleil. La taille de la blessure a quelque chose de subjectif, je crois. D’un jour à l’autre elle peut gagner dix centimètres. Mais tout ça c’est dans ta tête. Au fond, elle ne bouge pas tellement. Si elle ne passe pas, c’est qu’elle attend que tu te calmes un peu. Elle attend que tu l’écoutes pour parler. Si tu ne l’écoutes pas, alors elle crie plus fort. Ne t’entête pas. Laisse-la parler, elle a des choses importantes à t’apprendre sur ton corps. Apprends à réapprendre. C’est aussi ça l’humilité.
Sources
- Magazine Nature Trail : focus sur les blessures
- Livre Guide de nutrition du traileur, Alexandre Giora : Les principales pathologies du sportif (chapitre 1)
- Livre La science de l'endurance, Dr. Fabrice Kuhn et Xavier Teychenné
- Étude sur la perception des blessures par les athlètes et leurs influences sur la réalisation de mesures de prévention des blessures en athlétisme - ScienceDirect
- Santé mentale : L’immense impact d’une blessure longue sur le mental d’un athlète, avec deux psychologues du sport (olympics.com)
Lola Piffero
Commentaires
Enregistrer un commentaire