Gravir des sommets, dans le trail comme dans la vie


 

Affronter ses peurs pour se libérer : le dépassement physique grâce au dépassement mental

 

Petite, j’avais peur de tout, notamment peur de l’effort. Le sport d’endurance était l’une de mes plus grandes souffrances. Mais mes parents m’ont habituée très jeune à pratiquer le sport. J’ai essayé la gymnastique, puis l’équitation, finalement j’ai rejoint à l’âge de sept ans le club de karaté dans lequel mes parents étaient inscrits. J’en ai fait pendant huit ans, j’ai participé à deux compétitions et tenais toujours à me perfectionner. Je suis très fière d’avoir pratiqué ce sport autant d’années. Plus tard, j’ai décidé de me mettre à la danse, alors j’ai arrêté le karaté, mais mon amour pour la pratique a repris le dessus l’année d’après. J’ai donc achevé ma huitième année de karaté en décrochant ma ceinture marron, puis j’ai arrêté de manière définitive. Je ne me retrouvais plus. J’avais besoin d’autre chose.

Lorsque j’étais petite, mes parents participaient à des courses et m’inscrivaient sur les parcours enfants. En réalité, je détestais ça, rongée par une peur constante de ne pas y arriver, de ne pas résister à l’effort, et pire, la peur de décevoir. Croyant que je n’avais pas goût à l’effort, j’éprouvais pourtant avant chaque épreuve cette adrénaline qui donne la boule au ventre, mais qui donne aussi l’envie de se dépasser. La même sensation que j’ai pu ressentir avant une compétition de karaté. J’avais sincèrement envie de me dépasser, le faire, rien que pour rendre mes parents fiers de moi.

Le jour où j’ai commencé la course à pied, ça a été un enfer.

Le jour où j’ai aimé la course à pied, une libération.

Tout a changé en moi. Je ressentais pour la première fois de ma vie l’étrange besoin de repousser mes limites, jusqu’à sentir mes muscles piquer, mon corps transpirer. J’ai osé franchir l’inconfort pour me retrouver là où je pensais ne jamais avoir ma place. Le dépassement, je ne l’appréhendais qu’en course à pied. L’effort à fournir était totalement différent de celui que je fournissais au karaté.

J’ai toujours cru que le sport était quelque chose d’inné. Pourtant maintes preuves m’ont montré que c’était faux. Mon expérience d’abord a fait que je me suis remise en question : pourquoi pas moi ? Pourquoi ce ne serait pas mon monde à moi aussi ?

Durant l’été 2021, je me suis découvert une passion pour le skate. J’en faisais chaque jour, seule ou avec une amie, sur les trottoirs de la ville, sur un pumptrack, dans un skate-park… Mais je préférais la simple balade ou les vagues du pumptrack avec mes écouteurs sur les oreilles, à l’heure du coucher de soleil, dans ce fameux parc de sport.

L’été suivant j’ai arrêté le skate, commencé la musculation et la course à pied. Je courais beaucoup seule, je voulais apprendre à apprécier, en courant à mon rythme, sans avoir la pression de devoir suivre quelqu’un. Au bout d’un moment, c’est un peu comme si je retrouvais la sensation sur le skate, avec ma musique et la chaleur de l’été. Je crois que le skate m’a physiquement beaucoup aidée, pour muscler mon cœur et développer ma force dans les jambes. Les mois sont passés, je courais de plus en plus dehors et me lassais d’être enfermée dans la salle de musculation. Alors avec ma maman nous avons mis un terme à notre abonnement pour nous consacrer à la course en nature. Nos sorties dans les vignes ont été comme les prémices du trail. Seulement, pour compenser l’arrêt de la musculation, j’ai commencé le Pilates et augmenté mes séances de yoga. Le yoga par ailleurs a été un moment de transition, lorsque j’ai arrêté complètement le sport avant le confinement. Depuis, le yoga m’a révélée, je ne me suis jamais arrêtée.

Je crois que le jour où j’ai réellement aimé une sortie de course à pied, c’est parce qu’un déclic a eu lieu dans ma tête. J’ai eu confiance en moi. Je ne cherchais personne à rendre fier, je voulais juste le faire pour moi.


Une pente à gravir

 

Le trail a été le deuxième niveau, une autre forme de pierre à gravir. Une pierre plus conséquente qui me demandait de gérer autrement l’effort. Car l’effort à fournir en trail est encore différent de celui que l’on fournit en course sur route. En déménageant dans un village viticole, j’ai dû m’adapter au dénivelé. C’est là que tout a commencé avec le trail, grâce à un simple déménagement. En trail, j’ai appris à détourner parfois l’attention. C’est-à-dire que la nature autour de moi m’aidait à aller au bout. J’ai appris à regarder devant, mais aussi autour. Je note chaque sensation, chaque odeur, chaque couleur, chaque son, et je perçois mon effort autrement. Je ne cours pas pour courir. Je cours pour découvrir, me sentir vivante, en connexion avec la nature. Comme en yoga, c’est une manière de me retrouver et de me vider complètement la tête.

Moi qui détestais chaque montée à vélo ou en course, voilà qu’aujourd’hui je les apprécie et les appréhende de moins en moins. C’est là que je constate un autre dépassement. C’est aussi là que j’ai relié le trail à la vie, le trail aux épreuves de la vie. Parce que je crois que nos épreuves sont comme ces côtes appréhendées, ces dénivelés souvent décourageants. A force, on parvient à les gravir jusqu’au bout. Mais surtout, on s’y engage. Dès lors j’ai décidé de percevoir chaque difficulté rencontrée dans ma vie comme une côte en trail. J’ai toujours peur au début, mais j’y vais. J’ai peur donc j’y vais.


Rechercher le parcours plus que la performance

 

Emil Zatopek a dit, ce qui est je crois, une chose très juste : « Si vous voulez courir, courez un mile. Si vous voulez vivre une vie différente, courez un marathon. » On débute en courant un kilomètre, puis cinq, puis dix, puis quarante peut-être. Courir un marathon, c’est la finalité. Mais la préparation qui le précède… C’est là qu’a lieu la réelle métamorphose. Parce qu’on s’aguerrit, on apprend à encaisser l’effort, mieux gérer la douleur, on forge son mental. Des mois de préparation durant lesquels il nous faut tenir mentalement et physiquement. Pourquoi n’a-t-on pas envie de baisser les bras ? Parce qu’on se rappelle la finalité. Alors en réalité, peu importe à quelle allure on court un marathon, du moment qu’on le termine. Et on ne peut le terminer que grâce à cette préparation qui a duré des semaines. Des jours de pluie comme des jours chauds, des jours qui roulent et des jours où l’on aurait eu envie de pleurer. La préparation n’est qu’une succession de côtes, que l’on gravit au fil des semaines

L’erreur que l’on peut faire lorsqu’on débute, et je l’ai faite, est de vouloir en faire trop d’un coup. Courir trop vite et brûler les étapes. Finalement j’ai compris que ma progression risquerait d’être brutalement interrompue si je n’y allais pas progressivement. Et comme dans la vie, le plus émouvant est le parcours que l’on a eu. On est fier de la finalité, mais se retourner sur le chemin parcouru fait prendre conscience de la réelle progression. On n’est jamais la même personne après avoir gravi un sommet. On est changé à jamais, parce qu’on l’a fait.


            Lola Piffero 

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