De la souffrance à la passion : l'ascension d'une femme qui a osé pour changer


 Linda Douriaut : « J’ai toujours eu l’impression que je devais prouver plus pour mériter ma place »

Classée deuxième de sa catégorie lors du cross des pompiers en 2015 et première l’année suivante, jusqu’à participer aux cross nationaux, Linda a brillé durant son parcours de pompier. Aujourd’hui traileuse et amoureuse de la nature, elle n’aurait pourtant jamais cru en arriver là. Passée de petite fille triste et incomprise, puis jeune femme honteuse de son corps, à pompier volontaire et sportive disciplinée, découvrons le parcours d’un petit bout de femme qui a puisé dans sa force pour gravir ce qui semblait la montagne la plus conséquente de sa vie.


Prendre une revanche sur sa vie

 

Quand je demande à Linda quelle petite fille elle était, elle me répond qu’elle était incomprise et souvent triste. Elle se sentait tout simplement différente, ne parvenant pas souvent à lier de vraies amitiés. Le dessin était son refuge, son moyen d’expression et une façon pour elle d’échapper aux trop pleins d’émotions. Si elle souffrait psychologiquement, le sport la faisait souffrir physiquement : « Je ne comprenais pas ce que ça avait de positif et j’étais persuadée que jamais de ma vie ça ne m’intéresserait. »

A la sortie du bac, Linda traverse neuf années très difficiles. Malheureuse dans son couple et mal dans sa peau, elle se renferme un peu plus. « J’étais très complexée, je me détestais, je n’aimais pas qui j’étais ». Jusqu’à ce qu’elle entre chez les pompiers et prenne une « revanche » sur sa vie, à l’âge de trente ans : « En rentrant chez les pompiers je voulais faire quelque chose de bien dans ma vie. Je voulais prouver que j’étais capable de devenir quelqu’un et de me dépasser physiquement. »


Devenir femme par le sport

 

Beaucoup commencent le running avec l’ambition de perdre du poids. A la fois facile d’accès car praticable partout, et assez économique, la course à pied a l’avantage de brûler beaucoup de calories tout en augmentant le métabolisme de base. Linda a vu son corps changer grâce à ses footings réguliers, d’abord cinq kilomètres, jusqu’à atteindre les dix. Admirative des corps de métier de terrain, surtout les femmes, Linda n’a pas hésité à s’engager volontairement au sein de la caserne de son village. Elle considère que sa nature fonceuse l’a aidée à se lancer des défis et à évoluer. Lorsqu’elle repense à son parcours, l’ex-pompière est encore émue et pleine de fierté. S’engager dans une telle aventure a constitué un véritable symbole dans sa vie de femme, car elle avait la sensation de représenter la femme en général, et de prouver que celle-ci pouvait être forte et battante.

Mais au-delà de devenir une femme, Linda affirme : « J’ai le sentiment d’être devenue surtout un être humain reconnu, auquel les gens s’intéressaient un peu plus ». Un besoin de reconnaissance qu’elle a su combler grâce à sa « deuxième famille », comme elle l’appelle, une famille qu’elle a choisie. Tout part donc de là, du jour où ce petit bout de femme est entré dans une caserne. Et si elle ne l’avait jamais fait ? Par effet papillon, le sport ne serait jamais entré dans sa vie non plus.




Se forger une force mentale

 


La force mentale est un concept passionnant qui se comprend comme la capacité à se dépasser quand le corps nous dirait stop et semblerait avoir donné le maximum. Pourtant selon David Goggins, ancien membre des forces armées américaines, ultra-marathonien, triathlète et conférencier, les êtres humains n’utiliseraient que 40% de leurs capacités mentales et physiques. Nous aurions tendance à être trompés par le mental, qui cherche simplement à nous épargner toute souffrance et par conséquent nous empêche de dépasser nos limites. La force mentale acquise par Linda au cours de toutes ces années de pompier, en devant suivre des formations, faire ses preuves physiquement et prouver qu’elle était capable de garder son sang-froid, lui a donné l’entrain nécessaire pour s’accomplir dans le sport. « Je savais qu’il fallait de toute façon que je fasse du sport pour assurer mon rôle de pompier, je n’avais pas le choix. Le sport est venu par obligation au début. Je m’obligeais. Mais je n’aimais pas plus que ça, il m’a fallu du temps pour apprécier le sport. »

Peut-être est-on l’acteur de notre propre force mentale, néanmoins l’entourage a aussi un rôle à jouer. Selon Linda, le soutien participe à la forger : « La plupart des pompiers qui m’entouraient m’ont beaucoup encouragée en fait, et c’est motivant de savoir que tu n’es pas tout seul, qu’il y a des gens derrière qui te disent que tu es capable, même si toi tu en doutes fortement. »


Pression ou adrénaline ?

 

Les cross ont marqué ses débuts en course à pied, et elle s’en souviendra à vie. Linda évoque la pression qu’elle se mettait : « Pourtant, tout ce que je faisais à côté en étant pompier… Le cross finalement, ce n’était rien du tout à côté. » Selon elle, cette pression venait du fait qu’elle ne voulait pas décevoir et qu’elle doutait encore beaucoup de ses capacités. Des inquiétudes baignant en elle depuis petite, qui s’apparenteraient au syndrome de l’imposteur, duquel on parle de plus en plus. Vivant aujourd’hui à Givry en face des vignes, Linda a participé à son premier cross dans ce même village. Elle explique que la difficulté perçue dans un cross est censée représenter l’équivalent de celle perçue sur une intervention, à partir du moment où le bip sonne : « L’effort physique, le cardio que ça demande en cross est l’équivalent de celui que demande une intervention. » Par ailleurs, elle était la seule femme de sa caserne à participer aux cross. Pour son amour de la discipline et de la dimension militaire, Linda considérait les cross tel qu’un devoir à accomplir.

Parce que je la connais mieux que personne, je sais qu’au fond, la pression qu’elle se mettait n’était qu’adrénaline. Je suis convaincue qu’elle l’a toujours eue en elle, mais que toutes ses craintes l’empêchaient d’y croire. Cela peut ouvrir le débat, mais je crois que l’amour pour la discipline et la persévérance est en grande partie inné. Il est une composante de la personnalité, qui se révèle à un moment donné, lorsqu’enfin on décide de balayer nos craintes. Comme elle le dit : « C’est mon état d’esprit, je suis quelqu’un qui n’abandonne pas. Je n’aime pas l’échec, je n’aime pas commencer quelque chose et ne pas le finir. J’ai besoin d’aller au bout. »


Parce que courir a ses raisons, que la raison n’a pas

 

En commençant la course à pied, Linda avait précisément deux objectifs : le premier était de se fonder une condition physique pour assurer pleinement ses missions en tant que pompier, le second était purement physique. Voir son corps changer, se muscler, s’affiner, devenir dynamique, a été pour elle une révélation : « J’avais besoin de maîtriser mon corps, de m’aimer, tout simplement. »

Malgré le rythme effréné des années suivantes, elle n’a jamais abandonné la course à pied : « J’arrivais toujours à me dégager du temps pour aller courir, parce que j’avais trop peur de perdre mes acquis ». Grâce à son dernier déménagement, sur Givry, Linda a découvert le dénivelé, mais a surtout appris à l’apprécier. Une transition de la route vers le trail dont elle peut être très fière. « J’ai entendu parler d’une association, Courir Moroges, qui faisaient beaucoup de trails. J’ai rencontré certains des membres lors d’une randonnée, qui m’ont incitée à les rejoindre ». Mais rattrapée par ses doutes, elle renonce et continue à courir seule. Jusqu’à ce jour, où sans réfléchir elle décide de leur envoyer un message. Tous l’ont motivée à les rejoindre le lendemain pour une sortie trail. « Je n’ai pas eu le temps de réfléchir. Comme à mon habitude, j’ai foncé, j’y suis allée. »

Si des années plus tôt la traileuse courait pour deux raisons bien précises, aujourd’hui sa pratique n’est plus la même et trouve son sens dans le plaisir simple, la beauté des paysages. A ses débuts, elle explique : « J’avais du mal à trouver du plaisir, à concevoir que ça pouvait être une drogue, parce que moi je le ressentais comme une véritable souffrance. » Mais le trail lui a appris que le vrai bon moment en course à pied, ce n’est pas qu’après, c’est surtout pendant. Quand je lui demande pourquoi elle court, Linda me répond qu’elle veut juste se sentir vivante. Il n’y a pas toujours besoin de trouver des raisons, car les vraies passions ne s’expliquent pas, elles se vivent.


A la petite fille qu’elle a été

 

Ce qu’elle aimerait lui dire à cette petite fille ? « De croire en elle. De prendre confiance, de se dire qu’elle est capable et de ne pas écouter les gens autour. » La petite fille triste et renfermée est aujourd’hui une femme battante et épanouie, très fière du chemin qu’elle a parcouru.

L’ascension résonne en elle comme une progression. Elle n’y voit que du positif. « Cela représente une montée qui va toujours plus haut, vers toujours plus de positif. C’est l’idée d’atteindre un sommet. » Mais comme tout sommet est mystérieux, on ignore longtemps s’il a véritablement une limite. Ce qu’elle a compris, c’est qu’il valait mieux se concentrer sur cette ascension. « Et pour moi, ma vie de sportive je l’ai vécue comme une ascension justement. Mais je suis encore loin du sommet que je veux atteindre. Je continuerai de monter. »

Si elle ose « oser » dans la vie ? C’est avec un grand oui que Linda l’approuve. « Parce que justement le sport m’a fait prendre un peu plus confiance en moi ».


Cette année nous avons pour objectif, toutes les deux, de célébrer ses cinquante ans en courant notre premier marathon. Peu importe notre vitesse, peu importe le temps qu'on y consacre, nous rêvons simplement de franchir la ligne d'arrivée main dans la main...


Propos recueillis par Lola Piffero

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